Sur la difficulté de ne rien faire

« Il est très difficile d’être paresseux, car cela suppose d’avoir assez d’imagination pour ne rien faire, ensuite d’avoir assez de confiance en soi pour n’avoir pas mauvaise conscience de n’avoir rien fait, et enfin d’avoir assez de goût pour la vie, afin que chaque minute qui passe semble suffisante en elle-même, sans qu’on soit obligé de se dire : j’ai fait ceci ou cela… »*

En écrivant ces mots, Françoise Sagan rejoint La Bruyère. Remplacez paresse par oisiveté, imagination par étendue d’esprit et confiance en soi par fermeté, et vous retrouvez l’auteur des Caractères :

« Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire et être tranquille s’appelât travailler. »

J’ai disserté maintes fois sur cette phrase et sur la difficulté de ne rien faire, c’est-à-dire en définitive de s’en tenir exactement à l’instant présent sans se projeter vers l’avenir. Et oui, c’est difficile de cesser de se définir par ce qu’on accomplit ou par sa fonction sociale, c’est difficile de se retirer du jeu, et c’est difficile de ne pas en avoir mauvaise conscience. C’est encore plus difficile d’affronter le « vide du temps » et de ne rien attendre, espérer ou désirer que ce qu’on a déjà. C’est difficile de passer du faire à l’être. C’est difficile de se mettre à l’écart, de dire pouce ! , et de « demeurer au repos, dans une chambre » sans chercher à s’en divertir.

Oui, c’est difficile, et c’est une longue quête, d’échapper à notre humeur inquiète. La quiétude est un combat.

 * Françoise Sagan, Je ne renie rien, Entretiens 1955-1992 (Editions Stock)

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