Tout pour nuire

Elle avait un charme fou et le goût des intrigues. Elle s’appelait Marie de Rohan. Née en 1600, elle devint duchesse de Chevreuse par son second mariage, à vingt-et-un ans, en épousant son amant quatre mois à peine après avoir perdu son premier mari. Sa vie impétueuse est faite d’aventures, de cabales, de drames, de fuites, d’exils, de retours en grâce. Certains de ses amants (elle en eut beaucoup) connurent des destins tragiques pour s’être embarqués dans des complots auxquels elle avait pris part. Il faut dire que chez elle, d’après le Cardinal de Retz, « la vivacité suppléait au jugement ». Quant à Paul Morand, il en dit ceci : « Cette femme avait tout pour nuire : la beauté, l’esprit, la ruse, l’intrépidité au service d’un cerveau brouillon et d’une folle ambition. »

Si je parle d’elle aujourd’hui c’est précisément parce qu’elle apparaît à plusieurs reprises dans le livre de Morand sur Fouquet que j’évoquais l’autre jour, et que ces apparitions sont remarquables. Voici notamment celle qu’elle y fait, vieillissante, dans une citation mordante de Bussy-Rabutin : « Chevreuse est une grande place, fort ancienne, pour le présent toute délabrée, dont les logements sont tout découverts ; elle est néanmoins assez forte du dehors, mais du dedans mal gardée ; elle a été autrefois fameuse et fort marchande ; maintenant la citadelle est toute ruinée par la quantité de sièges qu’on y a faits pour la prendre. On dit qu’elle s’est souvent rendue à discrétion… Elle a eu plusieurs gouverneurs. Elle en est mal pourvue à présent car celui qui est en charge n’est bon à rien. »

De nos jours, il serait tout-à-fait inconvenant de tenir de tels propos sur une femme et sur son âge. J’aime cependant la cruauté subtile de ces plumes d’hommes. On y sent poindre, sous l’ironie, la fascination pour celle qui les inspire, et je ne suis pas loin même d’y lire parfois du dépit, ou le regret, faute d’avoir vécu à la bonne époque, de n’avoir pu partager une nuit avec elle.

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