Une jeune femme qui m’est chère fait aujourd’hui même ses débuts dans l’édition. C’est un métier auquel elle aspire depuis longtemps, et je suis certain qu’elle y réussira.
Je me permets cependant à cette occasion de lui livrer en viatique quelques propos de Christian Bourgois*, un de ses illustres anciens, assortis de mes commentaires. D’abord cette réflexion : « Je ne me suis jamais demandé ce que les lecteurs avaient envie de lire, je ne le sais pas et ça ne m’intéresse pas. Leurs goûts, je ne les connais pas, c’est donc très risqué, tandis que les miens, oui. » Dans l’économie de ce secteur, la demande ne préexiste pas à l’offre. Inutile par conséquent de chercher à la connaître. Il faut toutefois avoir le don de sentir l’air du temps un peu moins mal que les autres, tout en sachant aussi quelquefois le défier.
Christian Bourgois
Bourgois remarquait également qu’ « avec des auteurs qui n’écrivent pas ce qu’ils auraient voulu et des livres qui ne reçoivent pas l’accueil souhaité », l’éditeur était condamné à vivre dans un « climat d’échec permanent ». Pas de panique donc avec les déceptions : elles sont monnaie courante. Un autre grand nom du secteur, René Julliard, résumait : « L’édition, c’est l’art de salir avec de l’encre un papier coûteux pour le rendre invendable ». Car le livre est un objet pondéreux. Quand j’étais arrivé chez Flammarion, la vue des bennes de pilon m’avait donné le cafard.
Bref, le marché du livre obéit à des règles obscures. On y avance en tâtonnant. On risque de trébucher à chaque pas. Les stocks sont lourds, et quand on va en librairie, soit le titre qu’on a publié se trouve en rayon, et l’on pense qu’il ne se vend pas, soit il ne s’y trouve pas, et l’on se dit qu’on rate des ventes**.
Incertitude, inquiétude, insatisfaction sont le lot quotidien. A part ça, c’est sans doute, comme le disait Françoise Verny, « le plus métier beau du monde ».
* Dans un article de Monde en 2005, à l’occasion d’une exposition célébrant les 40 ans de sa maison au Centre Georges-Pompidou. Cité par Dominique Cara.
** La vente en ligne a un peu changé ça.