Du livre au détritus

2010 est un donc un millésime marqué par une nouvelle éclosion de débats autour du livre numérique, comme lors des grandes années 2000 et 2001. Mais le surplace total de la réflexion sur ces sujets en dix ans m’impressionne. Les tenants de la modernité vous expliquent que, ça y est, la révolution est en marche, les défenseurs du papier arguent des qualités indépassables de l’objet livre, et de son caractère sacré. Ce sont exactement les mêmes tartes à la crème que naguère, et l’on se les renvoie toujours à la figure avec la même énergique candeur. Rebelote la semaine dernière à la Société des Gens de Lettres.

livres-au-pilon.jpgSur le caractère sacré des livres, on aura compris que selon moi il s’est en grande partie perdu depuis qu’il n’est plus nécessaire d’en couper les pages. Il y avait là une obligation de manipulation physique et de lenteur qui vous disposait aux conditions d’une bonne lecture.

Quand je suis arrivé dans l’édition, je pensais encore néanmoins que c’était un lieu où je croiserais des apôtres et des grands prêtres. J’ai découvert l’envers du décor. La “chaine du livre” est une chaîne physique. Le bon fonctionnement de ses circuits aller (de l’éditeur au libraire) et retour suppose que les tuyaux soient alimentés en permanence. On “remplit” donc des programmes éditoriaux dans un objectif essentiellement quantitatif. La qualité est une considération accessoire, et si l’on ne publiait que des livres indispensables, l’économie du système s’effondrerait totalement.

Je me souviens du cafard vertigineux qui m’a pris lorsque j’ai vu pour la première fois une benne de pilon. Des milliers de livres neufs manipulés comme des détritus, et qu’on maculait de peinture indélébile pour éviter tout recyclage. J’en ai eu la nausée. Si je me suis autant engagé par la suite dans l’édition numérique, c’est peut-être par dégoût pour cet invraisemblable gâchis.

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires