L’art mineur de Gainsbourg

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L’année 2011 est faste (si j’ose dire) en anniversaires de décès de chanteurs. Certes, si l’on se réfère au petit recueil de commémorations publié par le ministère de la Culture (celui-là même d’où le ministre a exclu récemment L-F Céline), cela n’apparaît pas trop. Seul Gilbert Bécaud y figure, pour le dixième anniversaire de sa mort, en décembre 2001. Mais nous savons aussi qu’on célèbre cette année Charles Trénet et Philippe Léotard (10 ans), Yves Montand et Mort Shuman (20 ans), Brassens, Bernard Dimey, et… Ouvrard (30 ans). Sans oublier, aujourd’hui, 2 mars, Serge Gainsbourg, disparu en 1991.

J’ai longtemps éprouvé des sentiments ambivalents vis-à-vis de Gainsbourg. J’étais admiratif de ses inventions (même si beaucoup d’entre elles sont des emprunts, superbement revisités, à Chopin pour Jane B, à Vian pour la Javanaise, à la comédie musicale Chicago pour Comic strip), mais je n’étais pas réellement ému par sa voix, ses textes ou ses musiques. Pour tout dire, je le trouvais agaçant de ne pas prendre la chanson assez au sérieux, de jouer avec elle, de s’en servir pour se composer peu à peu un personnage. On voyait les ficelles de la notoriété du bonhomme, l’oeuvre qu’il composait s’appelait en réalité Gainsbourg, et les chansons étaient mises au service de cette oeuvre-là, c’était comme si elles n’avaient pas d’importance en elles-mêmes.

Au fond il est allé jusqu’au bout de la logique de la chanson comme “genre mineur”, laquelle avait donné lieu à un débat houleux avec Guy Béart lors d’une célèbre émission d’Apostrophes. Je lui en ai voulu de mépriser ce qu’il faisait (“ces petites conneries que nous écrivons”, disait-il) au profit d’une logique médiatique dont l’aboutissement fut une caricature d’artiste en pipole provocateur et déjanté. Et pourtant, dans ses disques, c’étaient les plages les plus désinvoltes, les plus dérisoires, les plus subversives, comme la courte “Ah, Melody” de Melody Nelson, et l’encore plus courte “Eau et gaz à tous les étages” de “Aux Armes Et Cetera”, qui me réjouissaient le plus. Leur négligé, leur facilité, avaient le charme d’un raccourci sublime vers l’impertinence et la liberté.

(Pour une liste quasiment exhaustive des commémorations à célébrer en 2011 dans le domaine de la chanson, je renvoie à l’excellent article de Michel Kemper, Morts au chant d’honneur, sur son blog “Nos enchanteurs”.)

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