— Ça va ? — Non ! On me vole. — Quoi ? — On me vole ma façon de penser. Et toi, tu ne fais rien. Maman, il faut savoir l’entendre. Il faut aller au-delà des mots cocasses ou maladroits ou agressifs qu’elle prononce. Sa raison, sa mémoire, le temps les lui a pris. Elle le sent, cela l’irrite, et […]
Aujourd’hui, Maman a repris la lecture des Fleurs du Mal par le début. AU LECTEUR La sottise, l’erreur, le péché, la lésine Occupent nos esprits et travaillent nos corps Je suis assis à côté d’elle et je l’écoute revenir sans se lasser sur ces deux vers, à voix basse, pendant au moins une demi-heure. La
Voilà, Maman a soufflé ses quatre-vingt quatorze bougies (judicieusement réduites à deux par l’entremise du pâtissier). Je remercie tous mes amis lecteurs qui ont eu, nombreux, une pensée pour elle. Elle était en forme, réjouie, presque diserte. Nous avons calculé qu’elle était au monde depuis trente-quatre mille trois cent trente trois jours. — Mais c’est énorme
Maman fête aujourd’hui ses 94 ans. Moi qui la croyais fragile physiquement, elle avance dans le grand âge plus loin que je n’aurais imaginé. Depuis un an, nos échanges se sont réduits. Nous parlons moins : de son passé, de ses parents, de ses lectures, d’Amou. Mais il me semble que nous nous concentrons sur l’essentiel.
Hier Maman était détendue, dispose, d’humeur philosophique, étonnamment cohérente. — Je suis vieille, me dit-elle. — Vieille comment ? — Vieille comme le temps qui passe. Elle semble regarder au loin, ou tout au fond d’elle-même. — Mais qu’est-ce qui subsiste de la jeunesse ? interroge-t-elle. Qu’est-ce qui ne s’est pas en allé ? Je cherche…
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Elle est mignonne, ma petite maman. Parfois, elle se comporte avec moi comme une midinette. Ses sentiments lui montent à la tête comme des bouffées de jeunesse. Elle confiait l’autre jour à Claudine : « Je l’aime, vous savez, je l’aime… Aussitôt que je le vois arriver, mon cœur bat la breloque ».
Maman n’est pas d’humeur à parler. Je la sens loin. Nous sommes assis côte à côte. La télé est allumée, en sourdine. Elle a les yeux dans le vague. Nous nous tenons par la main. Il me semble que je m’assoupis. Tout-à-coup, je l’entends dire : « On est deux drôles de moineaux ! » Je la
Quand j’arrive, Maman est prostrée dans son fauteuil. Je m’approche et me penche vers elle. — Bonjour Maman. Elle lève avec difficulté les yeux vers moi. Dans un souffle elle soupire « bonjour mon garçon » puis sa tête retombe aussitôt. — Elle n’a pas bien dormi la nuit dernière, me dit la personne qui la garde. J’essaie d’engager
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Maman n’est pas bien. Elle est au lit et répète la même phrase en boucle depuis deux heures : « la galette des rois à la frangipane a été préparée par les serviteurs ». Pas moyen de la faire sortir de là (je suppose qu’elle a vu à la télé un reportage sur la confection
Maman me tient la main, et me regarde. Elle sourit, d’un sourire serein et profond. — Moi, me dit-elle, je t’aimerai jusqu’à la fin des temps. — Peut-être pas, lui dis-je. — Si ! Jusqu’à la fin des temps… Elle baisse les yeux, et de sa main aux veines violettes se met à effacer rêveusement
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