Scènes de la vie des Légers (3) : Réveil, Toilette, Chant

(Je reprends ici la publication en feuilleton des Scènes de la vie des Légers que j’avais entamée il y a quelque temps. On en trouvera la première partie (Débuts dans la vie) en suivant ce lien. Voici la deuxième, intitulée Aspects du quotidien).

 

Réveil

Lorsqu’il se réveille, le Léger ne bouge pas. Il cherche à rassembler les lambeaux des rêves de sa nuit. Comme ceux-ci se dissipent à mesure que le sommeil s’éloigne, il finit par se lever et ouvrir les volets. Puis il se remet au lit, et regarde la fenêtre. Il regarde en-deçà et au-delà d’elle. Il fait se côtoyer l’intime de la chambre et la vastitude du dehors. Mentalement, il sort, il rentre, il sort, il rentre, jusqu’à ce que le ciel et les nuages ne fassent qu’un avec ses draps. Parfois, ce va-et-vient le rendort.

Le lit ou le grand large ? L’instant ou la durée ? Agir, ou contempler ? Paraître, ou disparaître ? Le Léger oscille le plus souvent entre les deux termes de ces alternatives, et c’est ce qui le rend si difficile à saisir. Il devient cette vibration, ce bourdonnement, ce balancement quasi quantique entre ce qui passe et ce qui demeure, entre ce qui se meut et ce qui se tait.

Pour finir, il se lève, pour de bon.

*

 

Toilette

L’eau chaude, le gant de crin, le parfum du savon, procurent au Léger des sensations puissamment euphorisantes, si bien qu’une petite pièce d’eau lui fait souvent l’effet d’être aussi vaste que les thermes d’un palais byzantin. Il chante tout le temps qu’il se frictionne. Au cours de ses ablutions, sous la douche ou face à son lavabo, il s’imagine dans une immense piscine de faïence, flottant dans une vapeur mousseuse. Des fougères géantes et des lierres émeraude tombent le long des parois, et il nage, en frôlant les feuilles, porté par une musique de jazz (ou parfois d’opérette), et soulignant de la voix les onctions variées dont il gratifie chaque partie de son corps.

Le rasage libère totalement ses vocalises. Il passe sans transition d’une chanson à une autre, et bat la mesure de ses pieds mouillés sur le carrelage de la salle de bains.

*


Chant

Chanter est l’une des occupations préférées des Légers. Ce sont également de bons siffleurs. Cela a à voir avec l’air qui entre et sort de leurs poumons. Ils aiment à moduler leur respiration.

– Le souffle, disent-ils, nous est donné en naissant, et nous le rendrons à l’heure de notre mort. Entre temps, servons-nous en pour produire des vibrations agréables, et si possible jolies.

C’est ainsi qu’ils s’appliquent à rendre harmonieux l’échange gazeux qu’ils entretiennent avec le monde.

*

(à suivre)

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires