Scènes de la vie des Légers (1) : Avant-Propos, Naissance, Célébration, Croissance

 

SCENES DE LA VIE DES LEGERS

 

AVANT-PROPOS DE L’AUTEUR

Les Légers ne sont visibles que sous certains éclairages et dans certaines dispositions d’esprit.

Leurs apparitions intermittentes et imprévisibles rendent impossible en pratique toute collecte continue et méthodique d’informations à leur sujet, de sorte qu’au lieu d’en offrir ici une vision complète et de décrire en détail la richesse de leurs mœurs et la variété de leurs caractères, je ne puis en proposer qu’une approche lacunaire, qui ne saurait en aucun cas prétendre au statut de vérité scientifique.

Les Industrieux et les Rutilants sont plus aisés à observer. Ils sont aussi mieux connus : leur étude n’est donc pas l’objet de cet ouvrage. S’ils apparaissent néanmoins ici ou là dans ces pages, c’est pour éclairer indirectement, et par comparaison, les aspects singuliers et parfois déroutants de la vie des Légers et de leurs comportements.

En dépit du caractère extrêmement fragmentaire des éléments rapportés ci-après, j’ai néanmoins le sentiment d’être parvenu à composer de ces créatures un tableau auquel mon lecteur pourra trouver quelque intérêt. Il faut dire que j’ai consacré un fort long temps à leur étude, et que j’ai eu le privilège, au fil des ans, d’en côtoyer intimement quelques remarquables spécimens.

*

 

Naissance

Les premiers temps de son existence, le Léger les passe chez sa mère. Il s’y tient au chaud et bien tranquille, à l’écart de l’agitation du monde et du brouhaha de la cité. Il s’applique consciencieusement à dormir et à grossir. C’est sa mère qui s’occupe de tout.

Un jour, sans nécessité apparente, le Léger passe la tête au dehors, le temps d’un bref regard. Il veut la retirer, mais trop tard ! On l’attrape, on le tire, on le tape. On le secoue par les pieds jusqu’à ce qu’il prenne une grande inspiration et déplisse du même coup les alvéoles de ses petits poumons. Il pousse un grand cri, il pleure, il n’a pas l’air content.

Il est né.

(Pour les Rutilants et les Industrieux, la naissance se passe grosso modo de la même façon.)

*

 

Célébration

Peu après la naissance d’un Léger, toute la famille s’assemble autour de lui, pour lui offrir de l’or (sous forme de médailles ou de bracelets) et de la laine (sous forme de layettes). Nul ne manque de s’extasier sur le nouveau venu.

Puis le plus ancien de la compagnie débouche une bouteille de champagne, et lance :

– A la santé du nouveau condamné à mort !

Et ils trinquent.

*

 

Croissance

La famille du Léger est aimante. Afin toutefois de l’accoutumer aux imperfections du monde, elle lui inflige très tôt deux épreuves : dans l’une, il doit trouver le sommeil en dépit du crincrin qu’émet une boîte à musique accrochée hors de portée, au-dessus de son berceau ; dans l’autre, il faut qu’il s’accommode à l’odeur de ses couches, qui certes sentent meilleur que celles des autres, mais pas tant que ça.

Pour le reste, le jeune Léger gazouille, pleure, bave et rote. Quelques mois plus tard, il tient sur ses jambes. Quelque temps encore et il apprend que sept fois sept font quarante-neuf et que Paris est la capitale de la France. Puis il commence à tripoter son zizi.

*

(à suivre)

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