Scènes de la vie des Légers (4) : Travail, Agenda, D’une profession l’autre

 

Travail

Gagner sa vie se fait principalement au moyen d’une opération dénommée travail, qui consiste à transformer du temps en argent. On obtient celui-ci en échange de celui-là.

Les Industrieux y consacrent huit, dix, parfois douze heures par jour, sur une période de quelques décennies. Cela ne les gêne pas, bien au contraire : ils n’aiment rien tant que d’être occupés. Ils ont plaisir à exercer un métier, avec compétence, dévouement, énergie. C’est par leur travail qu’ils se définissent. Untel, cordonnier ; Unetelle, enseignante.

Les Rutilants ne sont guère gênés non plus, car ils sont sensibles aux avantages que le travail procure : non pas tant l’utilité sociale que les bénéfices matériels qu’ils peuvent en tirer : belle maison, belle voiture, beaux bijoux. Réussite, aisance, prestige.

Les Légers, qui tiennent le présent pour le bien le plus précieux, marquent davantage de circonspection. Ils constatent que l’opération n’est pas réversible : l’argent achète tout sauf du temps. Confrontés à la nécessité de travailler, ils mesurent, la gorge serrée, les dizaines de saisons qu’ils vont devoir ainsi laisser s’enfuir sans retour.

*

 

Agenda

Agenda : en latin, les choses qu’il y a à faire. Si l’agenda est vide, la journée est dégagée de toute obligation. Ce serait dérangeant pour un Rutilant et intolérable pour un Industrieux. Pour un Léger, c’est le nec plus ultra.

Proposez-leur une de ces journées, les Légers s’en emparent avec jubilation. Tous les engagements qu’ils avaient contractés leur apparaissent futiles. Tous les gens affairés leur semblent la proie d’excitations inutiles. Tout le jeu social s’évapore en vanités.

Ils sont alors comme des plongeurs qui évoluent en eaux calmes à quelques mètres sous la surface agitée de la mer. Fluidité, mouvements rares, gestes ralentis. Bien sûr ils ont besoin d’oxygène et remontent régulièrement prendre une inspiration, mais au lieu de flotter et de se débattre avec la houle et des impératifs aussi clapotant que divers, ils replongent aussitôt.

Ils aspirent en quelque sorte à la sagesse des cétacés.

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D’une profession l’autre

Nonobstant ce qui précède, on observe que le Léger évolue avec aisance dans divers milieux professionnels. Il en change tout aussi aisément : éditeur, apiculteur, constructeur de cabanes, partout il se fait sa place, sans toutefois se sentir totalement à sa place : l’impression d’être de passage ne le quitte jamais.

Quel que soit le métier qu’il aborde, il y rencontre des Industrieux et des Rutilants si passionnés par ce qu’ils font, et si convaincus du caractère essentiel de leur tâche qu’ils n’envisageraient pas de faire autre chose. Le Léger admire leur ardeur, et respecte cette foi qu’il ne parvient pas à partager.

Pour sa part, il a plutôt le sentiment que chaque profession est une sorte de fête. La compagnie est belle, l’orchestre joue, le champagne coule à flots. Il arrive quand la soirée bat son plein, boit un verre dans la pénombre, entre dans la lumière, salue la maitresse de maison, danse un moment avec elle, fait la connaissance de quelques-uns de ses amis, converse agréablement avec eux, danse et boit à nouveau, et la nuit s’avance, jusqu’au moment où il regagne la pénombre, et s’éclipse, sans que la fête s’arrête et sans qu’on s’aperçoive qu’il est parti.

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(à suivre)

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Aguerre

J’adore. Tu fais de si jolies, de si justes descriptions des humains/nes (j’ai été chercher les précédents chapitres). Merci ☺️ je guette la suite. Besos G.