En 1959, Léo Ferré acheta un îlot en Bretagne. Nos amis Pierre et Marie l’ont à nouveau loué cet été pour quelques jours, et nous ont fait le plaisir de nous inviter à y séjourner avec eux.
C’est un endroit assez spartiate. L’îlot n’est relié au continent ni pour l’eau ni pour l’électricité. Il est équipé d’une citerne qui récupère les eaux de pluie. Des panneaux solaires et une éolienne fournissent une énergie intermittente. On y accède en gravissant une cinquantaine de marches taillées dans le roc.
Lorsqu’il prend possession des lieux, la première chose que fait Pierre, ou presque, c’est de se mettre au piano et d’y jouer “Avec le temps“. C’est une émotion réelle, pour lui comme pour moi, d’entendre vibrer dans un tel endroit les notes d’un Steinway. On n’est pas sûr que Ferré ait composé Avec le temps sur son île, on n’est pas sûr non plus que ce Steinway soit réellement l’instrument sur lequel il jouait (d’après ce qu’a entendu dire l’actuel propriétaire, l’original aurait été vandalisé à coups de hâche). Mais c’est une hypothèse plausible, et de toute façon c’est bien là que le grand Léo s’est tenu, pendant dix ans, à écrire en regardant les rochers de la côte, et les vagues, face à l’Est.
Pierre chante une nouvelle fois Avec le temps lorsqu’il quitte la maison. J’aime sa voix, j’aime la façon dont il la chante, spécialement cette fois-là. C’est presque l’heure du départ, chacun s’affaire à mettre de l’ordre, et ce que nous disent à ce moment les triolets de noires que Pierre joue sans se presser, c’est que nous ne faisons pas que partir, mais que tout s’en va, que la vie s’en va, qu’une de ses pages se referme, comme le cahier de partitions, et que celle qui s’achève, jamais plus nous ne la rouvrirons.
Merci de l’info !
Le Steinway n’a pas été vandalisé, il a tout simplement été légué à une commune voisine. Bien que vieux d’un siècle aujourd’hui, il fonctionne encore très bien.
Il est des lieux qui font rêver, des endroits emprunts d’une beauté éternelle. C’est au moins cela qui reste inscrit au plus profond de nous et qui fait que jamais rien ne nous quitte vraiment.