L’amour passagère

Il n’a pas échappé à mon camarade Jacques Langlois que j’avais, dans ma chanson Marées, usé d’une licence poétique en écrivant « l’amour passagère », donc en mettant l’amour au féminin alors qu’il est au singulier.

A supposer qu’il me faille justifier cette licence, je pourrais dire d’abord qu’aux yeux d’un homme, le féminin est souvent singulier. Mais ce serait une pirouette, et si un licencieux se met à faire des pirouettes, je doute qu’il arrange son cas.

Je dirais donc plutôt que le mot “amour” changeant de genre avec le nombre (puisque, selon le bon usage, il est masculin au singulier et féminin au pluriel), je me trouve bien moins hardi de transgresser cette règle avec lui qu’avec l’immense majorité des mots qui contrairement à amour, délice et orgue, restent, quoiqu’il advienne, d’un genre bien défini, ne varietur.

Mais surtout, je revendiquerais d’illustres précédents. Valéry parle de « désaltérer cette amour curieuse ». Rutebeuf, dans une complainte célèbre mise en musique par Léo Ferré, écrit « l’amour est morte », en voyant le vent emporter ses amis. Et le fait est qu’avant que Malherbe ne vînt, l’amour au singulier était souvent féminin, mal fixé sur son genre (je n’ai pas dit son sexe), et que c’était une sorte de mot hermaphrodite, comme “après-midi” l’est encore (un après-midi, une après-midi : « l’un et l’autre se dit ou se disent », pour paraphraser Vaugelas).

D’ailleurs, amour et après-midi, comme Michelle et ma belle chez les Beatles, sont deux mots qui vont très bien ensemble.

L_AMOUR_L_APRES_MIDI.jpg

Image du film d’Eric Rohmer, L’amour l’après-midi

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Jacques Langlois

Voila qui me rappelle, en moins poétique mais un peu licencieux, un échange entre Luis Mariano et José Artur. Le chanteur d’opérette se lamentait d’avoir tellement d’argent qu'”il ne savait pas où
la mettre”. A quoi, l’homme de radio lui avait suggéré de “commencer par mettre l’argent au masculin”, ce que l’autre avait pris pour une allusion déplacée à ses moeurs!