Avec le temps, le dentifrice sèche

Je ne vous parlerai pas des qualités d’entrepreneur de Pierre Kosciusko-Morizet. Elles sont exceptionnelles.
(Il sait écouter. Il sait s’entourer. Il sait décider. Il n’a rien de la figure du leader martial. Son ego n’est pas hypertrophié. Il ne surplombe personne de son savoir. Il n’est pas obsédé par le fait de devenir maître du monde.)
Mais je vous dirai ceci: quand je me suis lancé dans la « vie d’artiste », Pierre est venu à un de mes concerts. A la sortie, timidement, et même respectueusement, il me demande la partition de l’une de mes chansons. Il l’aime, il veut la jouer, pour lui. Il ne le sait pas, mais il est le premier à me donner la joie de cette reconnaissance concrète en tant qu’auteur compositeur.
Nous nous mettons à parler chanson. On en vient tout de suite à Ferré. Il connait tout Ferré.
Ferré…
Personne ne m’a autant remué que le grand Leo. J’ai pu détester son côté phraseur, emphatique, sa logorrhée (période 70), mais mes plus grandes émotions de chanson, les trucs qui d’un seul coup vous foutaient des frissons partout ou vous arrachaient des larmes, c’était lui. Je me souviens de la première fois que j’ai entendu Avec le temps. C’était en 1969.  J’avais allumé le “transistor” dans la salle de bains familiale. J’avais quinze ans. Je suis resté bouche-bée, sidéré, la brosse à dents dans une main et le dentifrice dans l’autre, bouleversé de mélancolie, avec l’impression irréfutable que j’avais entendu la chanson parfaite, le chef d’oeuvre mystérieux qui ne s’adressait ni à l’intelligence ni aux oreilles, mais vous vrillait jusqu’à l’âme.
Ferré… Ferré et Rutebeuf, Ferré et Baudelaire, Ferré et Aragon, Ferré et Caussimon (admirables: Mon camarade, Comme à Ostende, le Temps du Tango, M William…), Ferré et Ferré… J’y reviendrai.
En attendant, à l’Essaion, le soir du 27, Pierre et moi on en chantera deux ou trois…

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