Scènes de la vie des Légers (14) : Litanie, Hors saison

 

Litanie

Un Léger admet volontiers l’idée que les noms des personnes peuvent changer selon les stades de l’existence, ou en fonction de ce qu’elles sont en train d’accomplir. Il se rapproche en cela des hindous, dont les personnages, dans leurs contes et leurs grands récits, prennent fréquemment plusieurs identités.

Un Industrieux trouve que cela rend les histoires incompréhensibles. Pas le Léger, qui perçoit fort bien qu’on ne reste pas, au fil du temps, strictement identique à soi-même, et imagine volontiers la litanie de noms que chacun pourrait porter : un nom pour l’aube, un autre pour le crépuscule ; un nom pour séduire et un nom pour enfanter ; un nom pour obéir et un nom pour décider ; un nom qui brille et un nom pour voyager incognito ; un nom pour naître et un nom pour partir ; un nom qui se résigne et un nom qui, toujours, quoiqu’il arrive, obstinément, espère.

*

Hors saison

La pluie qui tombe. Les essuie-glaces qui couinent. La buée sur les vitres. La plage déserte. Les appartements fermés. Le front de mer en travaux. Tout le gris de l’hiver qui envahit l’espace. Un moment hors saison.

Dans la rue principale, quelques boutiques sont ouvertes. Les rares passants marchent d’un pas rapide, accrochés à leur parapluie. L’Industrieux arrête sa voiture. Sa passagère entrouvre la portière pour descendre. Le vent froid s’engouffre, elle la referme. Finalement, ils n’achèteront rien.

Dans une autre voiture, un Léger attend. Oh ! les minutes qui clapotent, le temps qui ruisselle, les gouttes qui chantent, le caniveau qui ronfle et gonfle, les arbres qui se douchent, le sable qui ravine, le sol qui boit, l’égout qui déglutit, les mouettes qui se hèlent, et ces millions d’instants qui passent, en striant furtivement le ciel gris, ces millions d’instants qui passent…

*

 

(à suivre)

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