Poser des univers

C’est une sorte de conférence sur la chanson. L’animateur ne connaît rien au sujet. Il pose des questions aussi creuses qu’imbéciles. Comme il est toutefois conscient de son ignorance, il est mal à l’aise. Chaque fois qu’il prend la parole, il a un petit rire nerveux et se gratte furieusement la cheville gauche. Quand il a fini, il remonte sa chaussette en gloussant à nouveau.

— Alors, ce disque qui va sortir, hi hi, c’est important pour vous ? (Non, pensez-vous, c’est juste trois ans de boulot.) — Est-ce que ça vous fait plaisir que le public vous applaudisse hi hi ? (Non, mec, j’aimerais mieux qu’il me jette des tomates.) — Et cette tournée, hi hi, vous espérez qu’il y aura du monde ? (Pas du tout. Mon kif c’est de jouer devant des salles vides.)

Parfois, le bonhomme délaisse le terrain des consternantes platitudes, et part à l’aventure. — Quand vous vous asseyez à votre piano, hi hi, est-ce que cela vous permet de poser des univers ? (Heu… Des notes, plutôt. Je pose des notes. Ça s’appelle faire de la musique, je crois.) — Je vois ici, hi hi, sur ma fiche, ça fait quinze ans que vous chantez, et vous n’êtes pas, enfin pas encore, hi hi, très connu… vous n’avez jamais songé à arrêter ? (Là, je me demande si je ne vais pas t’en mettre une…)

Voici sans doute pourquoi, inconsciemment, il plonge à chaque question pour se gratter la cheville : il esquive les bourre-pifs qu’il sait mériter.

« Il chante, et puis crac ! un bourre-pif » © Jean Marc Borot

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SERIGNAT Bruno

On voit, hélas, de plus en plus de gens incompétents pérorer dans les médias : c’est probablement dû au fait que, grâce aux réseaux sociaux, tout un chacun se croit capable de tout faire, sans jamais avoir appris, sans jamais avoir étudié la fonction visée. Comme disait Brassens : “sans technique un don n’est rien qu’une sale manie.” Alors, lorsque, en plus, il n’y a aucun don…

Claudine Plas-Arbon

C’était en effet consternant !