Le péché d’Anaximandre

Il y a 2600 ans, un savant et philosophe grec, du nom d’Anaximandre, « ouvrit (dit Pline) les portes de la nature », en refusant d’en expliquer les phénomènes par des causes surnaturelles. Une éclipse, ce n’était pas un monstre qui mangeait le soleil, la Terre ne reposait ni sur des colonnes, ni sur une carapace de tortue, et le tonnerre n’était pas la colère des dieux. Avec lui naît la démarche scientifique, fondée sur la curiosité, l’intelligence et le questionnement, et la science marchera de pair, pendant toute l’histoire de l’occident, avec sa soeur la philosophie.

anaximandre

Je ne sais si, ce faisant, Anaximandre savait qu’il allait déclencher un conflit profond et total avec « la pensée (…) mystico-religieuse, [laquelle est] fondée, dans une large mesure, sur des certitudes qui, par nature, ne peuvent être mises en discussion* », mais c’est en tout cas ce qui s’est produit. La foi s’est sentie agressée par une raison qui pensait en dehors d’elle. Toutes les religions, parce qu’elles ont par nature un versant dogmatique, ont combattu le fait de penser librement.

Le combat a connu, au fil des siècles, des épisodes violents, et s’est déployé sur des fronts variés (procès de Galilée, créationnistes contre darwiniens…). On a pu croire un moment, après les Lumières et le positivisme, que la raison allait l’emporter. Que nenni. L’affrontement entre à nouveau dans une phase aiguë. Le Monde nous apprend ainsi que depuis la rentrée scolaire 2016, un nouveau manuel d’éducation islamique marocain définit la philosophie comme « l’essence de la dégénérescence », en s’appuyant sur les propos d’une « grande figure du salafisme du XIIIe siècle, Ibnou As-Salah Ach Chahrazouri », pour qui la philosophie était « le summum de la démence et de la dépravation », et provoquait « l’angoisse et l’errance, l’hérésie et la mécréance ».

Qu’est-ce qui fait qu’on puisse avoir à ce point la haine de la raison ?

* Carlo Revelli, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (Dunod)

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Cepheides

Peut-être le péché d’orgueil : “l’Homme est distingué par Dieu et donc supérieur au reste du monde et puisque je suis un homme…”. À ajouter, bien entendu, à l’angoisse de mort ainsi (partiellement) jugulée. Or, la raison remet en cause ces certitudes : il faut donc la combattre par les dogmes.

Hirschi

Le besoin éperdu de certitudes, justement…