Le grand Pan

J’ai posté naguère sur Youtube une video dans laquelle je disais le texte de la chanson de Brassens intitulée Le grand Pan.

J’ai longtemps cru que l’anaphore « le grand Pan est mort » qui sert ici de refrain était, comme le reste des paroles, de la plume de Brassens. En réalité, il l’emprunte à Plutarque, lequel rapporte, dans son Traité sur la disparition des oracles, que ce bruit se répandit à Rome, sous l’empereur Tibère : « le grand Pan est mort ! » Un immortel qui meurt n’est certes pas une affaire banale, et il paraît que Tibère s’y intéressa de près.

On ne sait cependant pas comment cette rumeur fut interprétée à l’époque. Mais deux siècles plus tard, l’évêque Eusèbe de Césarée la mit en relation avec l’avènement du Christ, qui vécut (et fut crucifié) sous Tibère également. Pan, dieu païen, dont le nom en grec signifie « tout », est pris par Eusèbe comme le représentant de toutes les divinités et de tous les démons de la mythologie. Il disparaît face au dieu nouveau. Le paganisme fait place au christianisme.

L’idée a été reprise par de nombreux auteurs : Heinrich Heine, Elizabeth Browning, Michelet, Tourgueniev, DH Lawrence. Heine écrit ainsi : « Quelle source de salut pour tout être souffrant que le sang qui coula sur le Golgotha… Les dieux grecs de marbre blanc en furent inondés ; rendus malades d’une horreur intime ils ne purent jamais s’en remettre ! La plupart il est vrai portaient en eux depuis longtemps le mal qui les rongeait, et la peur suffît à précipiter leur mort. Le premier mourut Pan. »

Mais une autre thèse se développe à partir du XVIè siècle (avec Rabelais notamment) selon laquelle l’annonce de la mort du dieu Pan serait un écho anticipé de celle du Christ, et préfigurerait une religion du dieu qui meurt. C’est à cette tradition que Brassens se rattache. Toutefois, comme en témoigne l’envoi de sa chanson, il la prolonge de façon inédite : descendu du calvaire, lassé de l’indifférence et de la bêtise des hommes, le Christ semble renoncer à sa résurrection. Plus de Pan, plus de Christ, plus de dieu(x), au singulier ou au pluriel. Le ciel est vide, et c’est bien attristant.

 

NB : on trouvera ici la source de l’essentiel des informations reprises dans cet article.

 

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nicole giry

bravo !