Constantes non figées

Est-ce qu’avec les années je gagne en sagesse ? Je n’en ai pas l’impression. Je n’ai pas beaucoup évolué dans mes idées ou dans mon caractère depuis fort longtemps. Les réflexions que m’inspirent aujourd’hui les hommes et le monde, ce sont les mêmes que celles que j’avais ou aurais pu avoir il y a vingt ou trente ans. Mes maîtres sont restés Montaigne et La Fontaine, leur lucidité souriante, leur profondeur amusée. J’ai complété leur compagnie par celle de quelques poètes chinois ou persans, et tous me procurent d’amples réserves de sens et de beauté. Je sais depuis toujours que je n’ai pas l’âpreté mentale nécessaire à la fréquentation des grands philosophes, ni l’élévation de cœur qui convient à celle des textes sacrés. J’ai essayé, mais je n’y parviens pas, pas plus maintenant que quand j’avais vingt ans. Je n’en ressens pas de honte, et cela ne m’empêche nullement de côtoyer des personnes qui s’abreuvent avec bonheur à ces sources-là plus qu’aux miennes.

Au fond, l’esprit suit la même évolution que le corps, qui prend du poids, blanchit, se ride, perd ses forces, et cependant reste tel qu’en lui-même. Nous sommes des constantes non figées. On a beau se couvrir de tatouages ou s’imposer des exercices spirituels, le naturel revient toujours. Le mien est léger, ignore l’exaltation et l’esprit de système, s’accoutume à souffrir l’imperfection des choses, épouse sans trop de mal les mouvements de la vie, et s’applique principalement à profiter de ce qu’il a.

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