« Quelqu’un me dit qu’il a écouté mon disque en boucle… moi aussi (j’en ai écouté des disques en boucle), d’autant que quand t’avais pas de tune, t’en avais pas beaucoup, et ton disque tu l’avais pour longtemps, tu l’écoutais bien. Si tu pouvais même l’écouter sur la tranche, tu le faisais ».
C’est Yves Jamait qui tient ses propos, dans un entretien publié par Nos Enchanteurs le 26 septembre. Ça a réveillé des souvenirs. Durant mon adolescence, j’achetais souvent en effet les disques un par un. Celui que je venais d’acquérir, ce n’était pas n’importe quoi, je l’avais désiré parfois longtemps. La première écoute était donc quelque chose d’émouvant, presque de solennel. Je m’y livrais au terme d’un cérémonial qui commençait par l’examen détaillé de la pochette (visuel d’abord, rédactionnel ensuite), puis l’extraction du vinyl de son enveloppe de papier blanc, puis, avec de grandes précautions pour ne pas le rayer, je le retournais entre les mains, je repérais la face A de la face B, et je le déposais sur le plateau de l’électrophone. Avant de lancer la lecture, j’organisais la pièce pour l’écoute : je fermais la porte, je plaçais le fauteuil face aux hauts-parleurs, souvent je tirais les rideaux. Pendant une quarantaine de minutes, écouter allait être mon activité exclusive, rien ne devait m’en distraire, aucun autre sens ne prendrait le dessus.
Par la suite, comme dit Jamait, « ton disque, tu l’écoutais bien ». En boucle, oui, s’il te plaisait vraiment. Tu le passais et le repassais, tu en extrayais tout le jus. Tu découvrais des choses nouvelles à chaque fois, tu te mettais à aimer des morceaux qui au départ t’avaient dérangé ou surpris.
La pénurie (relative) de musique t’obligeait à cette répétition, et donc, volontairement ou involontairement, à l’approfondissement de la connaissance de ce que tu possédais. Au fond, c’est miraculeux qu’aujourd’hui des gens disent à un artiste : je vous écoute en boucle. C’est un compliment immense, quand on y pense, à l’heure où toute la musique du monde est disponible librement sur Internet.