Déesse aquatique périssant par le feu

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C’est une déesse aquatique pleine de grâce, et alanguie, qui semble tout imprégnée de l’atmosphère émolliente du Cabinet des Bains dont elle orne le plafond. Mais elle ne l’orne plus. Peinte vers 1655 par Eustache Le Sueur pour décorer l’hôtel Lambert dont Le Vau était l’architecte, elle a été détruite, en même temps que plusieurs de ses soeurs, par l’incendie qui a ravagé le bâtiment dans la nuit du 9 au 10 juillet.

Je cherche à comprendre pourquoi je regrette la disparition de cette figure, que je n’avais jamais vue, et que je n’aurais probablement jamais eu l’occasion de voir, puisque l’endroit était privé, et appartenait à un proche parent de l’émir du Quatar. A la vérité, j’ignorais même son existence. Voilà bien le paradoxe d’une telle destruction: la catastrophe révèle en même temps qu’elle anéantit. Et ce faisant, elle produit de la nostalgie pure : une sorte d’écho puissant dont nous sommes privés de la source.

Combien d’incidents fonctionnent de la même manière ? Nous prenons fait et cause pour des gens, des lieux, des espèces, des peuples dont, la veille, nous n’avions jamais entendu parler. Nous nous émouvons d’apprendre qu’il est arrivé quelque chose à ce que nous ne connaissions pas.

Je perçois cependant autre chose dans l’image de cette déesse: elle me parle par le côté prémonitoire de ses couleurs. J’ai l’impression que lorsque la photo a été prise, l’incendie, déjà, faisait rage, et que des flammes se reflètent sur le grand écusson avec tritons et trident. Le filet d’eau qui coule mollement de l’amphore n’y pourra rien. Avec une résignation sereine, la Néréide constate que le feu va triompher. Le brin de corail rouge qu’elle tient à la main est presque un signe d’allégeance. Tout va brûler : elle le voit, et même, pourrait-on dire, elle l’attend. Saisie ici dans son instant ultime, elle est comme suspendue dans l’imminence de l’embrasement qui se prépare.

 

http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/07/13/hotel-lambert-les-images-du-cabinet-detruit-par-l-incendie_3447067_3246.html

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cepheides

Il est exact que nous prenons fait et cause pour des gens ou des événements dont hier encore nous ignorions tout… Je suis même persuadé que, à l’article de la mort et le sachant, nombre d’entre nous se sentiront obligés de se passionner pour tel ou tel incident dont nous ne saurons jamais le devenir. C’est probablement parce que nous ne savons pas ce que nous sommes réellement, un peu à la façon de ces individus qui s’épouvantent de s’apercevoir grossis et déformés par l’âge dans quelque reflet de miroir alors qu’ils s’estimaient sveltes et séduisants l’instant d’avant.