Que ceux qui n’ont rien compris expliquent aux autres

A propos de mon article sur Gauss, on me fait remarquer que ma conclusion “je suis bien incapable de vous expliquer” est un peu à mon avantage: j’aurais plutôt dû écrire que j’étais incapable de comprendre (ce qui est la stricte vérité).
On suppose en effet, assez naturellement, que pour être en mesure d’expliquer, il faut avoir compris. Mais à ce postulat de bon sens s’oppose une formule, que j’ai entendu maintes fois répéter par mon grand-père maternel, qui était professeur: “Que ceux qui n’ont rien compris expliquent aux autres”.
Cette injonction paradoxale recouvre au moins deux vérités. Une vérité sociale d’abord, évidente et sans grand intérêt: beaucoup de ceux qui parlent (les politiques, les journalistes) ne connaissent pas grand chose aux sujets dont ils nous entretiennent.
Mais aussi une vérité pédagogique, beaucoup plus féconde, que le mode impératif “Que ceux…” nous pousse à découvrir : c’est souvent en faisant l’effort d’expliquer, donc de formuler avec ses mots à soi, un problème, que celui-ci finit par s’éclairer. Cela revient en fait à appliquer le “pas de côté” dont je parle avec Gauss: opérer un changement d’angle, de point de vue. Faire passer quelqu’un du statut d’interrogé à celui d’apprenant, en supposant de manière hardie que l’ignorant peut se comporter comme quelqu’un qui sait et que par ce simple fait il va en effet s’instruire, c’est le disposer de façon favorable, c’est user des moyens de la psychologie aux bonnes fins de l’enseignement.

Mon grand-père et moi. On le voit sur l’image s’assurer que je n’ai rien compris, avant de me demander d’en parler.
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nathalie

Ce qui me fait penser à ce constat de Guy Goffette (rapporté par J.B. Pontalis dans Le Songe de Monomotapa, -un titre qui devrait plaire à tous les amoureux de La Fontaine et de l’amitié-) :
” On est devenu si savant /
aujourdhui de tous côtés qu’il n’y a plus moyen /
de penser librement de travers”…
Penser de travers, par des petits chemins de traverse, … faire un pas de côté…

jacques langlois

Comme disait mon grand-père: “Gauss toujours”!