Adoucir le cœur des hommes

Au livre XXIV de l’Esprit des Lois, que j’ai cité hier et qui s’intitule « Des lois, dans le rapport qu’elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques, & en elle-même », Montesquieu s’interroge sur la nécessaire articulation entre religion et intérêts politiques et civils. Et après avoir affirmé, dans la perspective de ces derniers, qu’il est « bien plus évident qu’une religion doit adoucir le cœur des hommes, qu’il ne l’est qu’une religion soit vraie », il raconte brièvement l’histoire de Sabaccon, un des rois pasteurs.

Ces rois pasteurs, qui régnèrent sur le delta du Nil au cours de la XVè dynastie, soit autour de 1600 avant JC, venaient du Levant, et entretenaient des relations tendues avec la haute Egypte et Thèbes. Or une nuit, un dieu apparut en songe à Sabaccon et lui commanda de faire mourir tous les prêtres d’Egypte. Mais troublé par cette injonction violente, il renonça à la suivre, convaincu que son rêve signifiait que les dieux ne voulaient plus qu’il règne « puisqu’ils lui ordonnaient des choses si contraires à leur volonté ordinaire ». Alors il renonça au trône et se retira en Ethiopie.

Si Montesquieu qualifie l’anecdote d’admirable, c’est qu’elle montre un souverain interprétant un signe divin non pas dans le sens de la répression et des massacres, mais dans celui du droit des gens, « ce droit des gens qui fait que, parmi nous, la victoire laisse aux peuples vaincus ces grandes choses, la vie, la liberté, les lois, les biens, et toujours la religion, lorsqu’on ne s’aveugle pas soi-même », — aveuglement auquel toutefois les « princes mahométans », note notre auteur, ont bien du mal à échapper.

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AGUERRE

Merci JP pour ces écrits, hier et aujourd’hui, que je ne connaissais pas.