Dans son livre En avant la zizique, Vian introduit une très intéressante distinction entre auteur et parolier. Alors que l’auteur écrit son texte pour ainsi dire ex nihilo, le parolier est celui à qui l’on confie une musique et qui va poser des mots dessus. Il établit symétriquement la même distinction entre compositeur et musicien : le compositeur crée à son piano ou sur sa feuille blanche ; le musicien met des notes sur un texte.
Pour avoir, en écrivant mes chansons, occupé les quatre positions, je confirme qu’elles sont très différentes les unes des autres et ne font pas appel aux mêmes qualités. Je peux commencer par écrire le texte (position d’auteur) ou commencer par la musique (position de compositeur), mais ces deux cas sont chez moi assez rares. Un peu plus fréquemment, je peux partir d’un texte pré-existant (position de musicien : Senghor à Bel Air, Ronsard, les Hannetons) ou d’une musique écrite par un autre (Partie pourquoi, Deux âmes sur leur tige… : position de parolier).
Mais le plus souvent, paroles et musique viennent ensemble. Les premières mesures et les premiers mots sortent simultanément d’une partie de moi qui se situe entre ma gorge, mon ventre, ma tête et mes mains. Face cet embryon, mon travail est d’abord de bien ajuster ces mots et ces mesures les uns aux autres, et ensuite de développer l’idée de chanson qu’ils contiennent. Cette idée sera parfois plutôt musicale, et alors ce sera l’air qui me guidera dans le développement du morceau ; parfois plutôt fondée sur le sens, auquel cas l’armature de la chanson sera davantage textuelle. Ce qui me plait, c’est de trouver la bonne alchimie. Celle-ci suppose une attention constante des mots aux notes et des notes aux mots. Une note pourra exiger un mot différent de celui qui me sera spontanément venu. Si le mot résiste, c’est la mélodie qui devra être aménagée. En sorte qu’organiquement, je me définirais, dans mon travail d’écriture, non pas tant comme auteur – compositeur que comme parolier – musicien.