Wislawa Szymborska : grain de sable et fourmis

Nous l’appelons grain de sable,
mais lui-même ne s’appelle ni de sable, ni grain.
Il se passe d’appellation
générale ou particulière,
éphémère ou définitive,
approprié ou fausse.

Peu lui chaut qu’on le voie, qu’on le touche.
Il ne se sent ni vu ni touché.
Et le fait de tomber sur le bord de la fenêtre,
c’est notre aventure pas la sienne.
Pour lui c’est tout pareil qu’il tombe ici ou là,
sans aucune certitude, d’ailleurs, s’il tombe encore,
ou s’il est tombé déjà.

Il a suffi que je lise ces mots sur la page facebook de Dominique Cara pour que j’aille me procurer le recueil de poèmes dont ils sont extraits : De la mort sans exagérer, de Wislawa Szymborska, Poèmes 1957-2009 (Traduction de Piotr Kaminski).*

J’aime beaucoup ce qu’écrit cette femme. Elle a le don d’un regard neuf. Elle voit le monde « comme un cadre sculpté ». Elle le manipule délicatement, retourne les perspectives et regarde ce qui apparaît : l’insolite derrière le banal, le cocasse derrière l’ordinaire, et des lueurs de transcendance dans les choses les plus simples.

Car, dit-elle dans son discours de réception à Stockholm (le prix Nobel de littérature lui a été décerné en 1996), « dans la langue de la poésie, rien n’est jamais ordinaire ni normal. Pas une pierre, et pas un nuage au-dessus. Pas un jour, et pas une nuit après. Et par-dessus tout, pas une quelconque existence dans ce monde. »

Quatre heures du matin

(…) Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine

Heure vite balayée avant le chant des coqs
Heure où la terre semble nous renier
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes
Heure de qu’est-ce-qui-pourra-bien-rester-de-nous

Heure vide,
sourde, aride
Fond du fond de toutes les autres heures

Personne n’est vraiment bien à quatre heures du matin
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin
Bravo les fourmis. Mais que vienne vite cinq heures
Si tant est que devons survivre

 

* Poésie / Gallimard

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Bertrand de Foucauld

Pour moi, à quatre du matin, l’attente d’un nouveau jour naît dans ma pensée : la nuit règne encore mais je sais déjà, grâce aux tournoiement des étoiles et des planètes, que l’Aurore viendra, annonciatrice d’un moment heureux ou funeste. Qu’importe! Après cette aube, une journée se passera, suivie d’un crépuscule flamboyant (ou gris), puis une autre nuit qu’accompagnera toujours un autre lever du soleil. La lumière vaincra nos obscurités, nos peurs, nos morts. La Vie est.