Une phrase étrange

Mes grands-parents avaient un ami très original, que je ne crois pas avoir vu plus d’une demie-douzaine de fois en tout. J’avais alors entre sept et onze ans. Il s’appelait Paul Sauve. C’était un artiste et un érudit qui avait gagné sa vie comme professeur de dessin. J’aimais beaucoup cet homme. C’est surtout sa voix qui me plaisait. À vrai dire je ne comprenais pas grand chose à ce qu’il racontait, mais sa façon de parler, ses intonations raffinées, la douceur de son timbre et les sonorités des mots rares qu’il employait m’enchantaient au plus haut point.

Un jour, dans une conversation, il avait prononcé à deux ou trois reprises une phrase étrange : « C’est moi Terpon, serviteur d’Aphrodite, et que Cypris paie de retour ceux qui m’ont amené ici ». Je l’avais retenue, et je me suis mis ensuite à la répéter à voix haute comme un mantra énigmatique, pour le seul plaisir d’y retrouver la suavité de la diction de celui que je croyais être son auteur. Puis elle a disparu dans les profondeurs de ma mémoire, enfouie sous mille autres choses. Bref, je l’ai oubliée.

Mais à la manière dont un glacier finit au bout de quelques décennies par restituer ce qu’il a englouti, cette phrase a resurgi l’autre jour intacte à ma conscience. Je n’y comprenais toujours rien, mais son mystère est aujourd’hui facile à élucider. Tapez Terpon, Aphrodite, et Cypris sur un moteur de recherche, et vous tombez sur le galet de Terpon, une pierre portant la plus vieille inscription de Gaule en grec ancien (elle date de 450 av JC), trouvée sur la commune d’Antibes en 1866. Quand il avait pris sa retraite, Paul Sauve était venu habiter à Saint Paul de Vence. Je suppose qu’il avait visité le musée d’Antibes, et qu’il citait l’inscription pour se féliciter, à l’instar de Terpon, que les circonstances de la vie l’aient amené à vivre dans cette belle région.

Mais qui était Terpon ?

Le galet de Terpon

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires