Tout reste-t-il à dire ?

Dans la bibliothèque de ma mère, toujours un peu au hasard, j’ouvre Le parti pris des choses, de Francis Ponge. J’y lis cette phrase : « À propos des choses les plus simples il est possible de faire des discours infinis (…) À propos de n’importe quoi non seulement tout n’est pas dit, mais à peu près tout reste à dire *».

J’y perçois, sous l’humour, une reconnaissance de l’imagination créatrice et de la puissance du verbe. L’espace de la littérature, vu sous cette perspective, est sans borne, il lui suffit d’inventer, c’est à dire bien sûr d’échafauder des histoires, mais aussi plus simplement de faire l’inventaire de ce qu’il y a à voir et à ressentir dans le moindre objet ou le moindre événement.

Mais peu après, me replongeant dans notre quotidien de messages, de tweets et de commentaires, je me prends à penser que si Ponge revenait aujourd’hui, il verrait qu’entre 1935 (le moment où il écrit cette phrase) et notre époque, on a dit beaucoup plus de choses à propos de n’importe quoi qu’on n’en avait dit entre les débuts de l’écriture et 1935 ; qu’il en est résulté qu’une partie des terres vierges de mots qui existaient alors ont été envahies par une gigantesque mousse de bavardages ; et que face à cette prolifération consternante d’âneries et de répétitions, il vaudrait mieux en réalité qu’il rectifie son propos, pour affirmer tout compte fait qu’à propos de n’importe quoi, à peu près tout reste à taire.

 

* Proèmes, Introduction au galet

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