Dans Tous les matins du monde, l’admirable roman de Pascal Quignard dont Alain Corneau a tiré un non moins admirable film, Monsieur de Sainte-Colombe se voue entièrement, corps et âme, à la musique. Il en fait une exigence absolue. Rien ne doit la compromettre. Elle est son dieu et n’a pas d’autre but qu’elle-même. Marin Marais en revanche, l’autre protagoniste, en fait un instrument de promotion sociale. Il fait valoir son talent. Il le négocie contre une place à la cour.
La musique est-elle négociable ? La réponse est inchangée depuis le XVIIè siècle : cela dépend du tempérament du musicien. Certains sont portés au mysticisme et font de la musique une ascèse. C’est ainsi qu’au siècle dernier, le pianiste Arturo Benedetti Michelangeli disait qu’ « être musicien n’[était] pas une profession », mais « une philosophie, un style de vie » et qu’il fallait « avoir avant tout un esprit de sacrifice inimaginable », quand d’autres, comme Herbert von Karajan, moins détachés des réalités du monde, faisaient de la musique mus par un impérieux désir de reconnaissance et de réussite.
Transcendants et immanents. Les uns sont-ils moins bons musiciens que les autres ? La réponse réside sans doute moins dans la qualité intrinsèque de leur jeu que dans les opinions et sympathies de l’auditeur. Il se peut que notre oreille nous conduise à préférer l’interprète dont la réputation correspond le mieux à l’idée que nous nous faisons de l’excellence.