Mollesse

Je suis d’un naturel paisible, et pessimiste. Toute ma vie, ces deux penchants se sont confortés l’un l’autre. Mon pessimisme m’a porté à considérer, non sans une certaine indifférence, que l’entropie et la loi de nature condamnaient la plupart du temps les choses à finir comme on sait, c’est-à-dire jamais bien ; et il m’a probablement incité à surestimer les efforts à fournir pour que les événements suivent un autre cours. Mon goût pour la tranquillité a agi dans le même sens : plutôt se taire que de beaucoup parler, plutôt dormir que de s’agiter vainement, plutôt se tenir à l’écart que de s’engager.

C’est ainsi que, dans la plupart des circonstances, j’ai souvent préféré l’inaction à l’action. Même lorsque j’étais jeune, il ne m’est jamais venu à l’idée de me battre pour changer le monde. Il était comme il était, et malgré ses nombreux défauts, j’ai toujours eu la chance qu’il s’offre à moi sous un jour agréable, en sorte que je n’ai jamais estimé judicieux de renoncer à mon confort personnel pour tenter de le rendre meilleur.

S’il faut mettre un mot là-dessus, je l’emprunterais à Montaigne, qui, se livrant à des considérations voisines, parle de « mollesse ». J’en suis atteint comme lui, et sans doute à un plus haut degré. J’en éprouve un certain déplaisir, mais si je la déplore aujourd’hui, je constate qu’elle l’emporte encore sur le désir que je pourrais avoir de la corriger.

Wall hanging ©  Robert MORRIS

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