Sacrifice

​Je ne l’avais croisée qu’une fois, et c’était, curieusement, sur une piste de danse. Nous avions échangé quelques mots, et je me souviens de minutes étranges où son charme m’avait troublé.

J’apprends aujourd’hui qu’Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe, s’est noyée en mer en tentant de sauver deux enfants. Sa mort bouleverse beaucoup de monde. On peut lire sur les réseaux sociaux un nombre incroyable d’hommages. Certains sont saisissants, comme celui-ci, qui retranscrit une intervention qu’elle avait faite il y a trois ans sur France Culture sur le thème : « Pour qui, pour quoi risquer ou donner sa vie aujourd’hui ? »

Elle disait : « Ce qui me frappe quand on interroge les raisons de ce qu’on pourrait appeler un sacrifice […] c’est : qu’est-ce qui fait qu’une personne se considère vivante ? Souvent, la manière dont elle va se relier à sa propre vie a déjà disparu à ce moment-là […] Soutenir sa vie sans ce sacrifice n’a plus de sens. Ce n’est plus être en vie, c’est une manière d’être déjà mort. Ce qui n’enlève absolument rien à la force du geste… On met toujours la mort de l’autre côté, et la vie du côté de celui qui la donne. Mais au fond, on peut aussi partir d’un lieu où on est à demi-mort, où on est déjà cerné par la mort. Et donc le mouvement du sacrifice est aussi un aller vers la vie… »

On critique souvent les intellectuels parce qu’ils font des phrases abstraites bien loin des réalités… Pour Anne Dufourmantelle, les mots voulaient dire quelque chose. Ils sonnaient le plein.

Elle ajoutait une idée que nous devrions tous méditer : « On vit aujourd’hui dans une idéologie sécuritaire qui, je trouve, a une toxicité phénoménale car elle ramène la vie et le vivant au seul sujet et à sa survie individuelle ». Toxicité sécuritaire… Et c’était avant les attentats, l’état d’urgence, et tout ce qui s’ensuit.

 

 

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