Oulipo de bonne heure

On a beau faire les choses soigneusement, on n’est jamais à l’abri d’une erreur.

En ce temps de l’année où Claudine et moi allons voir plusieurs spectacles par semaine afin de préparer la programmation de la prochaine édition de Chansons et Mots d’Amou, et bien que nos sorties soient sélectionnées en fonction de critères que nous voulons rigoureux (dont celui, si possible, de passer une bonne soirée), il nous arrive parfois de tenter des expériences hors des sentiers battus et de nous présenter dans un théâtre ou une salle de concert au petit bonheur la chance, juste sur la foi d’une ligne lue sur un site internet ou dans un prospectus.

C’est ainsi que l’autre soir nous avons été malencontreusement attirés par un « voyage oulipien aux pays des langues francophones et improvisibles » (sic). Mauvaise idée. C’était dans le cadre d’un festival si confidentiel que je me demande aujourd’hui comment nous en avions entendu parler (pour la soirée de clôture de sa onzième (!) édition, on comptait à peine 35 personnes dans le public). Devant une affluence si clairsemée, nous subodorons la bévue. Mais nous avions fait le déplacement, autant nous installer dans la salle.

Après une longue attente (les organisateurs s’obstinaient sans doute à espérer davantage de monde), quatre braves musiciens montent enfin sur scène, sur le coup des 20h45, et commencent à produire des notes aléatoires et approximatives, en ânonnant ou braillant, ça dépendait duquel, d’interminables variations sur « Longtemps je me suis couché de bonne heure » (douché / mouché / touché ; bonheur / bon air / Ben Hur ; etc. ). Au bout de cinq minutes Claudine me regarde d’un air atterré. Au bout de dix, nous nous disons : attendons le prochain morceau. Au bout de quinze, ils n’avaient toujours pas lâché leur Proust. Au bout de vingt, nous craquons et quittons la salle.

Deux personnes qui quittent une salle vide, c’est un mouvement de foule. L’un des musiciens repère nos silhouettes et nous adresse un petit au revoir sarcastique. — C’est qu’il est encore de bonne heure, lui marmonné-je, et que nous partons nous coucher.

Proust sur son lit de mort, par André Dunoyer de Segonzac

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