Dans le musée de Saragosse, il n’y a pas que des sosies de chanteurs peints par Goya. On y trouve aussi l’intégralité des quatre séries majeures de gravures du peintre : les Caprices, les Désastres de la guerre, Tauromachie et les Disparates (les Absurdités).
Je crois que je pourrais rester devant chacune de ces gravures pendant des heures. Elles sont, la plupart, d’une violence et d’une noirceur terribles. Les visages s’y déforment en figures grotesques. L’humaine nature y est saisie dans ce qu’elle a de bestial, d’atroce, de désastreux. Il n’y a pas de miroir plus sombre et plus cruel de nos actes et de notre pitoyable condition.
L’une de celles sur lesquelles je me suis le plus longuement attardé, Goya l’a intitulée Murió la Verdad (« Et la Vérité mourut »). La Vérité git à terre. Elle vient d’expirer. Son visage dit qu’elle a souffert. La lumière qu’elle dispense encore se perd aux pieds de la foule qui se presse autour d’elle. Un évêque la bénit, dont le haut du corps s’enfonce dans la noirceur. Deux vieilles femmes la tisonnent avec une bêche et un râteau. Ceux qui déjà la veillent et la pleurent sont à l’évidence ceux qui l’ont tuée. Leurs visages douloureux, ahuris, veules, vils, indifférents, lamentables, émergent en farandole de l’épouvante des hachures, ou y plongent. Ils s’apprêtent à envelopper la morte dans un calamiteux clair-obscur. En arrière-plan, presque invisible, une croix se dissout dans le ciel noir.