Ma nuit avec Poutine

J’ai passé la nuit dernière en compagnie de Vladimir Poutine. Nous partagions le même appartement. Peut-être étions-nous colocataires, mais j’avais plutôt l’impression d’être assigné à résidence avec lui. Il logeait dans le salon, qui était vaste, et où il avait aussi installé sa chambre, alors que moi j’avais la mienne un peu plus loin, qui ressemblait à celle que j’avais lorsque j’habitais chez mes parents. Il y avait pas mal de désordre dans la pièce qu’il occupait. Son lit était défait, des vêtements sales trainaient sur les meubles, plusieurs sacs en plastique étaient déposés sur le tapis : il montrait ainsi très clairement qu’il souhaitait conserver pour lui l’exclusivité du lieu. Néanmoins, je lui ai dit : — Monsieur Poutine, regardez l’état dans lequel se trouve cet endroit, ce n’est confortable ni pour vous ni pour moi, je vais vous aider à ranger et à refaire votre lit, puis vous m’aiderez à faire le mien. Il a grommelé quelque chose, mais on a fait comme j’avais proposé.

Notre cuisine était assez vaste elle aussi, elle donnait sur un jardin qui la nuit était éclairé de lampions. Poutine venait souvent s’y asseoir le soir. Il s’attablait, seul, devant une bouteille de vodka, mais je ne l’ai jamais vu saoul. Il surveillait du coin de l’œil ce que faisaient ses hommes, une demi-douzaine de costauds habillés en serveurs, avec veste blanche et nœud papillon noir, qui s’affairaient dans l’ombre. Moi, comme je ne savais pas véritablement qui ils étaient, je discutais avec eux, je leur donnais des instructions pour l’entretien de la maison, je leur confiais la liste des courses, et Poutine s’amusait manifestement de me voir commander ainsi à l’élite des forces spéciales de l’armée russe d’aller faire mes commissions. Ce jour-là, après que nous avions dû refaire nous-mêmes les lits, je les ai réprimandés d’avoir négligé le ménage depuis trop longtemps. Leur chef, mi interloqué mi furieux, a ouvert de grands yeux, puis il a interrogé Poutine du regard, qui lui a fait signe de laisser tomber. Après quoi, curieusement, Vladimir et moi nous sommes partis pour Amou.

Je ne me souvenais pas de l’avoir invité, ni de m’être mis à l’appeler Vladimir, mais enfin alors que nous étions en train d’arriver en voiture (j’étais au volant) et que nous venions de quitter la départementale venant de Sault de Navailles pour prendre la petite route vers Bonnegarde et Marpaps, la chaussée s’est soudainement rétrécie au moment de franchir le pont sur le Luy, puis nous avons amorcé une longue descente parfaitement asphaltée, comme si nous étions sur un toboggan, avant de nous perdre dans les champs. La ligne blanche qui était sensée matérialiser la chaussée était toujours visible dans l’herbe, mais nous nous sommes arrêtés là, en rase campagne. — C’est moi qui ai fait faire ces travaux de voirie, dit Vladimir en sortant de la voiture. Et maintenant, regarde bien, ajouta-t-il en levant un bras vers le ciel. Alors trois gros avions ont surgi de derrière la colline en faisant un bruit épouvantable, ils ont tournoyé un moment au-dessus de nous, puis se sont éloignés dans des directions différentes. — Ah, ça, ils sont gros tes avions lui ai-je dit. Il eut une expression de plaisir extatique, son œil frisait, ses joues étaient écarlates. — Attends la suite, souffla-t-il dans un hoquet.

J’attendis, en scrutant le ciel. Quelques instants passèrent. Puis apparut au nord-ouest une espèce d’engin circulaire de couleur rouge, qui de loin paraissait être une soucoupe volante, et qui de près se révéla être un carrousel, un manège de chevaux de bois tournant sur lui-même muni d’un haut-parleur nasillard jouant un air d’accordéon. Il s’immobilisa quelques mètres au-dessus de nos têtes avant de larguer une petite échelle de corde qui tomba devant nos nez. Poutine jubilait de plus en plus, il était d’une rougeur apoplectique. — Ceci est une arme redoutable, s’écria-t-il, tu vas voir ! Montons, montons, allons faire un tour ! Il s’accrocha au premier barreau de l’échelle sans attendre ma réponse, et entreprit de grimper. Il avait du mal à se hisser, ses pieds glissaient sur les échelons, il ballottait dangereusement au-dessus des cornes d’un troupeau de vaches béarnaises, puis le manège se mit à prendre brusquement de l’altitude, et avant que je puisse voir si Vladimir-le-rubicond parviendrait à en gagner le bord, l’engin disparut dans un nuage et je sortis de mon sommeil.

S’abonner
Notification pour
guest

5 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
SERIGNAT bruno

Mon commentaire (en partie en russe, LOL) qui te remerciait de nous avoir fait partager ton rêve a été supprimé : pourquoi ?

SERIGNAT bruno

Le texte russe veut dire : “C’était très intéressant : merci d’avoir partagé ce rêve avec nous.” Tu ne le croiras peut-être pas mais ton rêve a fait des petits puisque; la nuit suivante, j’ai également rêvé de Poutine !!! Sans bien me rappeler de quoi il s’agissait…

SERIGNAT bruno

Je ne savais pas que tu parlais couramment le russe (le président Poutine ne parle pas français) ! Было очень интересно: спасибо, что поделились с нами этой мечтой…

Bertrand de Foucauld

L’être humain a ses limites. Mais pas son imagination! 😀