Lettres portugaises

J’ai lu hier soir, avec une certaine émotion, les Lettres portugaises. Ces lettres ont été écrites dans les années 1660 par une jeune femme nommée Mariana. Sa famille l’avait placée dans un couvent. Séduite par un jeune officier français, elle lui exprime avec une franchise et une sincérité poignantes son amour et sa douleur d’avoir été abandonnée par lui.

« Je ne vous verrai plus jamais en ma chambre, avec toute l’ardeur et tout l’emportement que vous me faisiez voir (…) Je ne connais que trop que tous les mouvements qui occupaient ma tête et mon cœur n’étaient excités en vous que par quelques plaisirs, et qu’ils finissaient aussitôt qu’eux. Il aurait fallu que, dans ces moments trop heureux, j’appellasse ma raison à mon secours pour modérer l’excès funeste de mes délices, et pour m’annoncer tout ce que je souffre présentement. Mais je me donnais toute à vous, et je n’étais pas en état de penser à ce qui eût pu empoisonner ma joie et m’empêcher de jouir pleinement des témoignages ardents de votre passion. Je m’apercevais trop agréablement que j’étais à vous pour penser que vous seriez un jour éloigné de moi. »

Dans ce monologue épistolaire, les tourments contradictoires de la passion amoureuse sont saisis et rapportés sur le vif avec une intensité troublante. Elle aime bien plus qu’elle n’est aimée, elle le sait, elle en souffre, et cela n’abat pas son amour. « Je sais bien que je vous aime comme une folle ; cependant je ne me plains point de toute la violence des mouvements de mon cœur, je m’accoutume à ses persécutions, et je ne pourrais vivre sans un plaisir que je découvre et dont je jouis en vous aimant au milieu de mille douleurs. »

Mon étonnement provient des commentaires que j’ai lu sur ces lettres. La plupart des experts les attribuent de nos jours à un homme, le comte de Guilleragues. Je n’en crois rien. Je pense qu’elles ont vraiment été écrites par une femme. Je le pense parce que certaines choses y sont dites avec une spontanéité, une franchise et une effusion qui me semblent n’appartenir qu’à une femme, et aussi parce que j’ai reçu autrefois quelques lettres similaires, dans leur ton et dans leur contenu, dont cette lecture a réveillé le mordant souvenir.

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