Le scrutateur indiscret

C’était une soirée toute simple fréquentée par des jeunes gens sympathiques. Je ne sais pas trop comment je m’étais retrouvé là, mais j’étais entouré par plusieurs jeunes couples. Je les observais en train de plaisanter et de rire, je surprenais leurs regards et les intonations de leurs voix. Quoique neufs encore, je voyais qu’ils étaient tous entrés, sans le savoir, dans cette période de vulnérabilité qui succède à l’enthousiasme des commencements. Des choses m’apparaissaient qui leur demeuraient invisibles : des lassitudes qu’ils ignoraient encore, des liens nouveaux qui les attiraient. Cette fille couvait des yeux un garçon qui n’était pas son compagnon. Celui-là tombait sans s’en rendre compte sous le charme de cette autre. J’avais l’impression de visiter leur futur, je voyais s’esquisser des affinités et des désirs qui deviendraient peut-être bientôt irrésistibles. Plus l’heure avançait, mieux il me semblait discerner les tourments de la chair et du cœur sur lesquels ces jeunes gens n’allaient pas tarder à s’embraser et leurs couples se défaire.

J’en étais à nourrir ces pensées, en scrutateur indiscret de l’avenir, lorsque je me mis à trouver étrange cette disposition d’esprit mi-lucide mi-licencieuse dans laquelle j’étais plongé, et je me dis que tout ça c’était peut-être uniquement dans ma tête, la projection d’anxiétés anciennes ou de mes propres turpitudes, et soudain je songeai : — mon Dieu, Jean-Pierre, voici que tu penses comme un vieux !

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Olivier Marchand

venez-vous au Québec, au Canada?

Bertrand de Foucauld

Bonjour Jean-Pierre,
Peut-être pourrais-tu écrire une chanson sur le carrefour urbain situé entre la recherche de l’être idéal et la peur de la solitude.