Boa

​C’est une bonne grosse dame brune, la soixantaine avancée. Lorsque je monte dans le train, elle est debout, dans le couloir, parlant d’une voix forte et bien timbrée, avec un léger accent du sud-ouest, et captive deux autres passagères à peu près du même âge. Quand elle me voit m’approcher pour prendre ma place (il n’y a que ces trois dames et moi dans le wagon), elle m’apostrophe : — Vous pouvez écouter, Monsieur, si toutefois vous ne craignez pas d’entendre une histoire qui pourrait vous empêcher de dormir.

C’est à ce genre de phrase que l’on reconnaît une conteuse, et je me joins volontiers à son auditoire. Et la voilà qui se lance dans un récit où une amie de sa fille, qui possède pour animal de compagnie un boa avec lequel elle partage sa couche depuis sa plus tendre enfance, s’inquiète un matin de voir le reptile ne plus se lover à côté d’elle, ni s’alimenter. La jeune femme se met en quête d’un vétérinaire compétent, finit par en trouver un du côté de Toulouse, et va le consulter sans le serpent qui, vu sa taille et son état, est difficilement transportable. (Je résume.) L’homme de l’art se fait décrire le cas et les symptômes, le boa étendu sans bouger de tout son long au pied du lit, et conclut : « Mademoiselle, dès que vous rentrez chez vous, vous mettez ce boa dans une cage, un vivarium ou ce que vous voulez, mais surtout vous vous protégez de lui : il n’est pas malade, il s’apprête à vous bouffer ».

Le train roule depuis un moment, et la bonne grosse dame nous regarde, saisie par sa propre histoire, comme si nous venions de sortir d’un conte de Maupassant.

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