Une journée chez Jeanne

Cela faisait fort longtemps que nous n’avions vécu une journée comme celle-là, toute de paroles, d’attentions, d’écoute, de lenteur. Lever tardif, petit déjeûner substantiel, et la conversation qui démarre, et qui dure jusqu’à cinq heures de l’après-midi sans que le fil en soit rompu. Promenade d’une heure, le long de la rivière, à travers les jets d’eau qui irriguent les arbres fruitiers, puis dîner tôt dans le jardin, et toujours les mots qui coulent, comme une douceur, comme un baume, le crépuscule de juin qui s’étire longuement derrière les montagnes, et la nuit peu à peu qui s’installe, sans que cesse encore notre murmure, sans que nos trois coeurs ne se décident à se taire, sans que s’éteigne leur babil.

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Cela nous fut comme un massage de l’âme. Nos vies, nos doutes, nos joies, nos quêtes, la mort, l’absence, les familles, la solitude, l’art, l’écriture, la musique, tout s’exprimait sans manière, sans détour, sans honte, sans arrogance, chacun parlait naturellement à son tour, et tout ce qui était dit était écouté. Notre échange dispensait une sorte de mystérieux réconfort, nos voix tournaient l’une autour l’autre comme des fugues de violoncelles, puis le sommeil est venu, aussi simplement qu’un autre soir, et pourtant nous n’étions plus tout-à-fait pareils : en chacun de nous quelque chose s’était déplacé, ou remis en place, et il semblait qu’une source avait surgi de ce mouvement infime, à laquelle nous pouvions désormais offrir, pour qu’elle les polisse, les arêtes les plus coupantes de nos galets intérieurs.

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Jacques Langlois

En clair et pour rester dans le ton de la précédente rubrique, on ne cancane pas chez Jeanne!