Tu penses à quoi

Station-service-nuit-autoroute.jpg

Pendant très longtemps, on est beaucoup mort, en France, dans des accidents de la route (au début des années 70, plus de 16000 personnes mouraient ainsi chaque année). Lorsque je devais prendre la voiture pour un long trajet, je pensais à chaque fois que peut-être je n’arriverais pas au bout du voyage. Je n’avais pas vraiment peur, mais je ne parvenais pas toutefois à me défaire de l’idée. Les nuits qui précédaient le déplacement, je dormais mal. Mon angoisse disparaissait dès que je m’installais à bord de la voiture. Mais si le voyage durait, si l’on devait rouler pendant la nuit, la pensée revenait, vague et poisseuse, comme les lambeaux d’un mauvais rêve.

J’aimais écouter de la musique, pendant ces moments où la réalité était comme suspendue. L’autoradio et ses lueurs bleues ou vertes diffusaient une sorte d’émotion à l’état pur. L’habitacle devenait une bulle sonore, et filait, fragile et confortable, à vive allure, à travers l’obscurité. J’étais réceptif à tout, à la fois attentif et absent. La musique rendait ma vulnérabilité curieusement agréable. J’allais peut-être mourir dans une heure, ou une minute, et l’idée ne me déplaisait plus.

Une nuit, j’écoutais Ferré. Et tout-à-coup, comme s’il s’adressait directement à moi à travers ma rêverie, je l’ai entendu chanter : « – Tu penses à quoi ? A la mort qui sommeille au bord de l’autoroute ? »

Oui, Léo. C’est exactement à quoi je pensais.

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires