Montaigne sous Molière

Il y a beaucoup de Montaigne sous Molière, et la raison en est que Molière a très bien lu Montaigne, et s’en est beaucoup inspiré. L’exemple le plus manifeste de leur proximité est fourni par le rapprochement entre l’Essai « Sur le pédantisme », et la tirade de Chrysale, dans « Les Femmes savantes ».
Montaigne :
François, duc de Bretagne, quand on lui parla de son mariage avec Isabeau, fille d’Ecosse, et qu’on ajouta qu’elle avait été élevée simplement et sans aucune instruction littéraire, répondit qu’il l’en aimait mieux, et qu’une femme était assez savante quand elle savait faire la différence entre la chemise et le pourpoint de son mari. (Notez la présence des mots femme et savante.)
Molière :

Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
A connaître un pourpoint d’avec un haut de chausses

J’aime aussi cette autre idée commune aux deux auteurs :
Montaigne :
La sagesse a ses excès et n’a pas moins besoin de modération que la folie.
Molière (le Misanthrope) :

La parfaite raison fuit toute extrémité
Et veut que l’on soit sage avec sobriété

Dans Tartuffe, lorsque Cléante énumère à Orgon toute une série de vrais dévôts :

Regardez Ariston, regardez Périandre,
Oronte, Alcidamas, Polydore, Clitandre,

ce sont autant de noms de personnages de l’Antiquité auxquels il est fait référence ici ou là dans les Essais.

Parfois, le lien que Molière fait entre sa pensée et celle de Montaigne n’est pas aussi littéral. Il prend la forme d’une sorte de clin d’oeil à distance, ou de commentaire ironique et souterrain. Ainsi, au sujet des rapports charnels et de la recherche du plaisir, Montaigne ayant rapporté ce propos d’Aristote : Il faut, dit Aristote, toucher sa femme sagement et pudiquement, de peur que si on la chatouille trop lascivement le plaisir ne la fasse sortir des gonds de la raison, Molière ouvre Dom Juan sur ces mots :

Quoique puisse dire Aristote, et toute la philosophie…