Ballons n°6

Ballons.png

Nous étions sur la terrasse, assis, en train de boire un verre, les conversations s’étaient tues. Nous venions de passer cinq heures à table, le moment était à une douce fatigue, grâce à laquelle nous écoutions le chant des merles, et regardions les feuilles des peupliers jouer avec les reflets du soleil déclinant.

Soudain, comme tombés du toit, deux ballons de baudruche flétris et passablement dégonflés atterrirent au milieu du cercle que nous formions. Etonnement, exclamations, animation nouvelle. Les ballons étaient reliés entre eux par une ficelle, au bout de laquelle était attachée une enveloppe, marquée du chiffre 6. A l’intérieur, une adresse, et un message tracé d’une écriture d’écolier : merci de nous renvoyer cette enveloppe et dites-nous où vous l’avez trouvée.

L’envoi n’était pas daté, mais il mentionnait sa provenance : une localité à une centaine de kilomètres au nord-est ; NE-SO, c’était bien la direction du vent ce jour-là. A supposer qu’il ait soufflé à trente ou trente cinq km/h, il y avait donc environ trois heures que de jeunes apprentis météorologistes avaient lâché ces ballons, sixièmes d’une série dont nous ignorions le nombre, pour occuper par une expérience de plein-air le tiède après-midi de ce jour férié.

Tout cela n’avait rien de mystérieux, mais nous éprouvions une vague stupéfaction de nous trouver précisément à l’endroit de la chute. Les ballons, d’habitude, on est là où on les lâche, jamais là où ils tombent. Ceux-ci avaient achevé leur course parmi nous, gais, colorés, inoffensifs. Nous flottions un peu devant cette circonstance, nous ne savions pas s’il convenait d’y discerner un signe. L’événement était en vérité si extraordinairement banal qu’il nous déconcertait, jusque dans notre hésitation à y voir quelque clin d’oeil de la providence.

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires