Paul se trouve au milieu d’une petite assemblée d’une quinzaine de personnes, famille et amis mêlés. Il fait beau. Tout le monde a pris place autour d’une grande table dans le jardin, pour prendre un verre. Et Paul parle. Il aime parler, de sa voix forte. Il sait beaucoup de choses. En fait, Paul s’intéresse à tous les problèmes du monde, et pense que c’est le cas de tout un chacun. Il a un avis sur tout, ou presque tout, et il l’exprime, doctement, énergiquement, sans se laisser distraire par les questions, sans mesurer son temps.
Voilà une heure et demie qu’il s’est lancé, et qu’au gré de son exposé documenté, parfois brillant, il fait voyager son auditoire (enfin, ceux qui, dans son auditoire apparent, l’écoutent), de la finance internationale à la psychologie des foules, de la montée des intégrismes religieux aux dérèglements du climat. Tout le monde commence vaguement à éprouver le besoin de souffler un peu, lorsqu’il s’interrompt, l’air étonné, et montre du doigt un oiseau qui vient de se poser sur la pelouse. – Regardez, dit-il, c’est bizarre, un corbeau à bec jaune ! – Ah, non, lui répond l’assemblée. Ça, c’est un merle.
On dirait du La Bruyère!