Une jeune femme nue est accroupie dans une cage grillagée cubique d’un mètre de côté environ. Elle est assise sur l’herbe d’un jardin. Elle se met à couvrir sa prison de roses blanches. Patiemment, plus d’une heure durant, elle va accrocher des fleurs au treillis, se dérobant peu à peu aux regards. A la fin, il ne restera qu’un cube opaquement fleuri.
Cette surprenante performance, j’y ai assisté chez une galériste parisienne. Sur le moment, je me souviens d’avoir eu une réaction plutôt amusée (sur le mode : mais où donc ces artistes vont-ils chercher tout ça ?). Après coup cependant, j’y ai repensé plus que je ne m’y serais attendu. La scène agit comme une de ces liqueurs facile à boire, mais longue en bouche, ou comme un parfum que l’on remarque surtout à son sillage.
Car cette cage, posée au milieu d’une compagnie bavarde et socialement hyper-sophistiquée, constitue à bien y réfléchir une véritable provocation. En elle, c’est comme si quelque chose de sauvage était posé à nos pieds : quelque chose qu’on tient bien entendu enfermé, contenu, ainsi que doit l’être toute sauvagerie – c’est-à-dire toute forme brute (et potentiellement brutale) de nature. L’animal-femme placée là sous nos yeux – souple, lente, déliée, calme -, un peu panthère un peu serpent, figure un fascinant et discret concentré d’élégance et de danger. Pas de cris, pas de violence. Sa présence est lointaine, et semble nous ignorer, occupée seulement de sa prison, silencieuse d’exil, nostalgique de sa liberté.
Elle s’évade en couvrant sa cage de fleurs, par la répétition d’un geste qui donne à voir et masque à la fois. Elle se soustrait progressivement à notre vue, et sort du champ par une patiente transformation du dispositif en un volume de pétales parfumés. Non-violence, poésie, disparition, camouflage. L’animal-femme meurtrie mue l’humiliation de son exhibition en fleurs blanches. C’est une illustration quasi-parfaite de la célèbre phrase de Braque : « l’art, c’est une blessure devenue lumière ». Et ce qui demeure extraordinaire, a posteriori, c’est l’indifférence apparente de l’assistance, moi le premier, devant cette transfiguration. Mon Dieu, qu’est-ce que cela dit de nous !
(Cette performance est due à une artiste italienne, qui s’appelle Romina de Novellis – la gabbia veut dire la cage, en italien-. Je la remercie vivement, ainsi que Bernard Chenebault, de m’avoir permis de publier sur ce blog la video ci-dessous, qui est un montage des trois soirées de mai au cours desquelles cette performance a eu lieu à Paris. Durée : 13 mn).
Quel dommage qu’il n’y ait pas eu, pour conclure, un homme (ou une femme) pour lui glisser en retour une simple et belle rose rouge…
Une toute petite pointe, alors…
Ne serait-ce pas teinté d’une pointe de machisme ?