Ensangloté

A la radio, le journaliste annonce d’une voix fatiguée qu’une nouvelle vague d’attentats, commise au cours de la nuit précédente, a “ensangloté” la région. A une infime hésitation, on comprend qu’il se rend compte de son lapsus. Mais il ne cherche pas à le corriger. Le sang est versé, il a cessé de couler, les gens sont morts. Les sanglots, en revanche, on n’a pas fini de les entendre.

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Sculpture JB Coté

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hernandez

Je fais moi-même beaucoup de lapsus…visuels. Depuis les attentats ( ces violenteries) , je suis obligé de relire et relire avant d’évacuer le mot que j’ai imprimé à la place de ce qui est vraiment écrit.Mais je retiens ce mot, il est poétique et plein de sens. J’ai toujours fait confiance à mon inconscient et je lui suis redevable plus que jamais aujourd’hui
Continuons à lire pour dire, continuons à ne pas lire un seul livre.

Un ensangloté parmi d’autres.

Muriel

Je trouve cette phrase puissamment évocatrice et poignante. “Ensangloté” n’appartient pas au Robert, mais on devrait proposer à l”Académie française d’examiner son entrée au Dictionnaire, car par le siècle qui court, son occurrence grandirait vite dans les colonnes des journaux. “Ensangloté” dit en raccourcit le désespoir intime qui touche ici toute une région – une pléïade d’individus donc -, avec cette image enveloppante apporté par le préfixe “en-“, la rassemblant en une communauté de douleur – mais elle souligne aussi que c’est du SANG qui a été répandu. Pourtant l’étymologie de “sanglot” et celle de “sang” n’ont rien à voir. Le soubresaut du sanglot ne vient pas d’un quelconque trouble de la circulation sanguine mais de celui de la respiration, qui s’altère. Et plus précisément, son origine vient d’une altération du terme latin “gluttire” soit “avaler” en français (“singlultus” = hoquet). Le sanglot survient lorsqu’on ne peut “avaler” un événement vécu comme terrible, tragique, un coup du sort…ou des terroristes.