Avenue de France

Encore une scène de métro. Je suis assis dans une rame de la ligne 14, les jambes croisées devant moi, absorbé dans ma lecture, lorsque je reçois un coup sur le pied. Je lève la tête. Une jeune aveugle avec sa canne s’assied en face de moi. Je voudrais m’excuser d’avoir laissé mes jambes dans le passage. « Pardon, je ne vous avais pas vue », sont les mots qui me viennent aux lèvres. Je m’abstiens de les prononcer. 

Elle reçoit un appel sur son téléphone. Son interlocuteur s’inquiète, elle est en retard. Elle lui dit qu’elle a eu une matinée horrible, mais qu’elle est presque arrivée, plus qu’une station. Bibliothèque François Mitterrand. Elle se lève. C’est là aussi que je descends. Sur la ligne 14, la sortie du métro se fait tantôt à droite tantôt à gauche. Elle se dirige du mauvais côté. Je lui signale son erreur, nous descendons sur le quai. – Merci. Pouvez-vous m’indiquer la sortie Avenue de France, s’il vous plait ? – Ici sur la gauche, lui dis-je; je vais vous guider. Nous faisons quelques pas. – Nous allons prendre l’escalator. Elle s’y engage vivement. – On peut monter ? Elle est pressée, elle veut monter les marches, pas simplement se laisser porter par elles. Je jette un coup d’oeil. Les personnes devant nous se tiennent bien sur le côté. – Oui. Et la voilà qui file devant moi, canne blanche en avant.

La station est profonde, la montée est longue. Arrivés en haut de ce premier escalator, je lui dis de prendre mon bras. Nous traversons un vaste hall, montons un escalier d’une vingtaine de marches, passons les guichets de contrôle, empruntons un deuxième escalator très long (on peut monter ? – Oui), puis un troisième. Nous sortons sous le ciel froid et gris. Elle met ses lunettes noires. – Savez-vous où vous allez ? – En face, de l’autre côté de l’avenue. Voulez-vous me faire traverser ? – Bien sûr.

Je la laisse sur le large trottoir. Je la regarde s’éloigner, canne en avant, d’un pas vif. Je me retourne. Je ne sais pas où je suis. Avenue de France n’est pas la sortie que j’aurais dû prendre. Je connais très mal ce quartier, qui est toujours en travaux et se transforme tout le temps.

Pendant quelques secondes, je suis perdu. 

avenue-de-france.jpg

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arbon

Merci Charles ! J’accepte.

Charles Chester

habitué du quartier (pour la boutique au MK2 vendant des produits d’outre-Atlantique et le photomaton Harcourt, hors de prix, entre autres…) je serais heureux d’être votre bras la prochaine fois que vous vous y perdez, volontairement ou non. Bizarrement, eu égard à mon jeune âge sans doute, j’ai assisté à la “construction” de ce quartier, et je dois dire qu’il est agréable de pouvoir se prêter au jeu des sept différences toutes les semaines, pendant que plus loin, d’autres pierres restent et demeurent.