Mireille et mes éphémères débuts


C’est peu après l’épisode des cartes postales que Jacques Langlois et moi avons composé “Quai de Jemmapes“. A cette époque, Mireille, la célèbre Mireille du “Petit chemin qui sent la noisette” et de “Puisque vous partez en voyage”, animait encore son “petit conservatoire de la chanson”.

L'”oeuvre” achevée (voir l’article chanson idiote pour plus de précisions), nous nous lançons donc le défi d’y aller un soir, Jacques et moi. C’était dans une petite impasse du 7è, dont j’ai oublié le nom, près du métro Duroc. Mireille  m’avise avec ma guitare, voit que je suis nouveau, et m’invite à monter sur scène pour chanter deux chansons. Quai de Jemmapes, donc, et la “Chanson pour Audrey”, que je venais d’écrire pour la naissance de ma nièce.
Lorsque j’eus terminé:
-Pas mal, dit-elle, mais ça manque un peu de musique.

Je n’y suis pas retourné. Avais-je été dépité qu’elle ne crie pas instantanément aux chefs d’oeuvre? C’est possible. La vérité est qu’à l’époque, je n’avais aucunement l’intention de travailler pour devenir chanteur. Ou bien on me disait tout de suite: c’est formidable, ou bien je reprenais tranquillement le chemin que mon éducation et mes études avait tracé pour moi. Or, ce soir-là, je pense que, sans en prendre pleinement conscience, j’ai entrevu l’énorme difficulté d’être artiste. En chantant pour la première fois sur cette petite scène, je me souviens de la sensation étrange qui m’a envahie. Un mélange d’excitation, de honte, de douleur. J’avais pendant cinq minutes pénétré un territoire étonnamment compliqué et hostile. Il me rejetait. La vie d’artiste me rejetait. Je m’en voulais d’avoir été là. C’était comme si j’avais cherché grossièrement, méprisamment, à embrasser une fille dont je ne voulais pas m’avouer que j’étais amoureux. Elle me repoussait, et  je comprenais très bien pourquoi : pas parce que je la désirais, ni parce que je ne lui plaisais pas: mais parce que je n’étais pas prêt à accepter l’exigence, et à faire l’effort, de vraiment l’aimer.

Au fond, la désinvolture de ma démarche était humiliante pour la chanson. Elle m’humiliait surtout moi-même. Alors j’ai enfoui ça profondément en moi, enterré pendant plus de vingt ans toute pensée de retenter ma chance. Et oublié.

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jacques langlois

Tu pourrais chanter, en somme:
“Mireille n’a pas voulu
Mon idée lui a déplu
Tant pis, n’en parlons plus!”