Bonsaï

Il paraît qu’un bonsaï, sorti de son pot et planté en pleine terre, ne peut plus jamais être remis en pot.

Pendant cinquante ans j’ai été en pot, comme tout le monde. Bien taillé, bien élevé, bien poli. Cependant, je regardais les marronniers par la fenêtre, et de grands chênes au loin. Et, plus loin encore, je pensais aux hêtres magnifiques dans les montagnes. Parfois même, je rêvais de palétuviers, de baobabs, de sequoias.

Un jour je suis sorti de mon pot. Je suis parti vivre ma vie d’arbre. J’ai eu du mal, je suis tombé malade, j’ai failli mourir. Mais je déploie désormais mes racines en pleine terre, et je me mets à nouveau à grandir. Je sens qu’une sève âpre et forte s’est mise à circuler dans mes veines. Sans doute ne deviendrai-je jamais tel que j’aurais pu être si j’avais poussé et vécu en pleine nature depuis mon enfance. Mais je sais des choses: j’ai été cultivé.

Ma présence déplaît parfois aux caïds de la forêt. Ils se demandent ce que je viens faire parmi eux. Certains me considèrent comme un intrus. Mais la plupart du temps ils ne me voient pas. Moi, je suis simplement là parce que je les admire et que je sais que je suis comme eux.

Je me bats contre la grêle, la sécheresse, le gel. Je sais maintenant que c’est ma place. Je suis le bonsaï de Monsieur Seguin.

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jacques langlois

Si j’avais mauvais esprit – ce qui, comme tu sais, n’est pas le cas- je dirais que ce billet est dans la ligne de récents développements “pipi-caca” sur les pets et autres sanisettes: cette fois il est question de pot ! Ou encore que tu passes du morceau de Racine évoqué naguère à l’arbre tout entier aujourd’hui…
Mais ce texte est trop personnel et trop profond pour ne susciter que ce genre d’à peu près. Il touchera ceux qui savent et même ceux qui ne savent pas. Il me fait moins penser à la Blanchette du conte qu’au Cyrano de Rostand, qui se flattait d’être arrivé pas bien haut, peut-être (tel un bonsaï?) mais tout seul.