Abîme

Maman ne se souvenait pas que c’était l’anniversaire de la mort de Papa. A vrai dire, elle ne se souvenait pas non plus vraiment de lui. J’ai placé son portrait entre ses mains. — C’était ton mari, Maman, et mon père. Vous avez vécu soixante-quatre ans ensemble. Elle m’a regardé, incrédule. — Il s’appelait Albert. — Ah!… Oui, Albert…

Le brouillard de sa mémoire s’est déchiré furtivement, des souvenirs sont remontés à la surface, elle a caressé le visage en murmurant « Albert, Albert… »

C’était il y a exactement un an. « Ô mon père et ma mère ! Ô mes chers disparus… »

Et moi, aujourd’hui, qui regarde cette photo de Maman regardant une photo de Papa, je vois aussi la mise en abyme. Je vois qu’il suffirait qu’on me photographie là, devant cette photo, pour que le maillon que je suis rejoigne déjà, en image, la longue chaîne des absents.

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