(J’entame ici la troisième partie des Scènes de la vie des Légers. Elle a pour titre Avec l’Ineffable. Elle est dédiée à tous ceux qui ont eu la chance d’accueillir dans leur vie une de ces merveilleuses créatures, ainsi qu’à tous ceux qui ne l’ont pas encore eue mais se trouvent dans des dispositions de cœur et d’esprit qui leur permettraient de l’avoir.)
Rencontre
Demandez à un Industrieux ce qu’est une rencontre, il vous répond en termes de choc, ou de collision. Deux corps se percutent, libèrent leur énergie cinétique, et boum !
Posez la même question à un Rutilant, il suggère que c’est un nom que l’on écrit dans son répertoire.
Abordez enfin le sujet avec un Léger, il vous parlera d’influence. Il vous figurera les trajectoires, elliptiques, hyperboliques ou indéchiffrables, sur lesquelles les êtres sont lancés, tels des comètes, et errent quelques années ou quelques décennies. Il vous décrira le fait que, lorsque deux d’entre eux passent à proximité l’un de l’autre, ils se prennent, même brièvement, même imperceptiblement, dans leurs champs gravitationnels respectifs, pour se dévier mutuellement en proportion de cette attraction, avant de poursuivre leur course, ou peut-être d’unir leurs élans, et de partir ensemble, très loin, enrichis et transformés de l’inflexion qu’ils viennent de subir.
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Apparition de l’Ineffable
Le Léger est assis à la terrasse d’un café. Il s’apprête paisiblement à régler la note, quand l’Ineffable passe. Grande, très jolie, avec une longue mèche qui lui tombe sur le côté droit du visage. Elle dépasse d’abord, sans le voir, la table où il est installé, puis elle se retourne. C’est l’instant dont il va se souvenir : le premier regard qu’ils échangent. Il va se souvenir de cet instant où tout est devenu flou, sauf ses yeux. Il va se souvenir qu’ils se sont tenus par les yeux, à une profondeur infinie. Ça ne dure peut-être que deux secondes, mais quand ils reviennent à la surface, quelque chose a changé.
Le Léger serait bien incapable de dire quoi.
Comme il serait aussi bien embarrassé de dire, à cet instant, comment il s’appelle.
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(à suivre)