Scènes de la vie des Légers (19) : Maladie, Inhumation

 

Maladie

Un Léger est vieux et malade. Une infirmière lui prodigue des soins. Elle le nettoie. Il s’en remet entièrement à elle. Il n’a pas le choix, il ne peut pas bouger. Ils franchissent ensemble, par nécessité, les barrières habituelles de l’intimité et de la pudeur.

Cette toilette intime le contraint à une familiarité non souhaitée. Mais alors qu’il craignait de se sentir brusqué et choqué qu’une étrangère lui lave les fesses et le sexe, il se laisse faire docilement. Il s’abandonne, et elle comprend qu’il lui signifie : « Vous ne touchez que mon corps, Mademoiselle, que mon enveloppe, quelle importance, qu’est-ce que cela vous dit vraiment de moi ? »

Mais en vérité, il y guette encore aussi quelque plaisir.

*


Inhumation

Les Légers enterrent un des leurs. Ils observent une minute de silence. Les rares conversations se taisent. Il n’y a plus soudain que le concert des oiseaux, le frissonnement de la brise dans les branches, le bourdonnement intermittent d’une mouche, l’étirement d’un nuage dans le bleu du ciel. Rien qui parle, rien qui crie. Tout est si tranquille qu’il leur faut quelques instants pour s’habituer : abstraction faite des reniflements d’une sœur et d’une cousine, ils entendent la paix du monde.

Pour les Légers, cette paix est chose tangible : les fleurs embaument, le soleil grésille, la terre respire : c’est naturel, immémorial, évident. Pris par l’harmonie qui les berce, les Légers se disent qu’au fond, tout finit bien, et que la vie est un mystère d’une insondable simplicité. Certes, le défunt commence à se décomposer, et il sera bientôt pareil à tous les morts depuis la nuit des temps, mais tout finit bien. La paix est là, dans ce retour à la poussière. Chacun le sait.

Quelque chose d’imperceptible les retient cependant d’être complètement et définitivement sereins. Presque. Ils le sont presque.

*

 

(à suivre)

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