Cartes à Henriette

Vider les armoires est un exercice qui réserve des surprises parfois troublantes. Non loin de celle qui contenait la lettre de Louise, il y en avait une autre qui renfermait dans un tiroir une quarantaine de cartes postales adressées à ma grand-mère, pour la plupart datées de 1920 et 1921, d’après ce que j’ai pu voir, toutes écrites en anglais. (J’en ai pris une sélection en photo.)

J’ai compris qu’il s’agissait de la correspondance dont ma mère m’avait parlé un jour. Je rappelle l’histoire : les Américains, après leur entrée en guerre en 1917, avaient réquisitionné la scierie-menuiserie que possédait mon arrière-grand-père pour y fabriquer des crosses de fusil. Henriette, sa fille (qui deviendra ma grand-mère), avait alors dix-sept ans. Elle tombe amoureuse d’un soldat, et réciproquement. La guerre finie, il rentre aux Etats-Unis et veut l’emmener avec lui. Veto paternel. Alors ils s’écrivent. Lui (il s’appelle Schwartz, il est sergent) habite à Dayton dans l’Ohio, mais je suppose qu’il reste mobilisé car il poste aussi des cartes de Portland (Maine), de Pennsylvanie, de Mobile (Alabama), de la Nouvelle Orléans… Il cherche à lui donner envie de le rejoindre en lui montrant combien son pays est beau. Mais on comprend que les réponses d’Henriette se font rares, et que peu à peu, face à ce silence, une sorte de désespoir rageur s’empare du jeune homme, qui est visible jusque dans son écriture.

When can I expect a letter from you ?… I think of you always… Have not heard from you in months… Are you ever going to write to me ?… Yes I think of you everyday… WRITE ME ONCE MORE, PLEASE…

Il y a infiniment moins de subtilité dans les écrits de Schwartz que dans ceux de Louise, et je comprends que ma grand-mère ait fini par se lasser. Si cela a duré un peu, c’est probablement parce qu’une chanson servait de bande-son à cette histoire. Schwartz en avait envoyé la partition à Henriette, qui l’avait aimée, jouée et rejouée. Elle avait servi de berceuse à Maman, et c’est la dernière que je lui ai entendu chanter. Till we meet again.

 

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