Elle était immatriculée 418 Z 75, et mon grand-père maternel l’avait achetée en 1939. Il avait juste eu temps de descendre une fois de Paris à Amou (Landes), puis les Allemands avaient envahi la France. Alors, pour éviter qu’elle ne soit réquisitionnée, il l’avait cachée dans une ferme, sous un tas de bois. Elle y passa la guerre. Ce fut sa saison aux enfers, en souvenir de quoi, à la Libération, il la baptisa Proserpine.
C’était une Citroën 11 CV légère, trois vitesses, avec levier à côté du volant, un capot à ouvrants, un porte-bagages, des marchepieds, et un pare-brise avant qui s’entrouvrait sur l’extérieur à l’aide d’une mollette, pour faire de l’air. Elle trône au milieu de mes souvenirs d’enfance, lors de ces fins d’été passées à la campagne, jusqu’à l’année de mes treize ans. Pourtant, on l’utilisait très peu. Vu la façon dont mon grand-père conduisait, c’était préférable. Au bout de la rue du village où nous habitions, au croisement avec la rue principale, il y avait un stop car la visibilité était nulle. Il ne s’y arrêtait jamais. Il klaxonnait pour avertir de sa présence, et tournait sans autre précaution. Quand on lui faisait remarquer, il vous répondait, impérial : – Je connais la route !
(Je n’ai pas de photo de Proserpine. Elle ressemblait beaucoup au modèle ci-dessus, mais n’avait pas le mauvais goût d’avoir des jantes jaunes).