Onirisme, onirologie, onirocritique

Mon beau-père vient, Ă  78 ans, de soutenir sa thèse de doctorat de philosophie. Titre : Onirisme, onirologie, et onirocritique dans les cultures mĂ©diterranĂ©ennes et europĂ©ennes. Sous-titre : pour une Ă©pistĂ©mologie du rĂŞve. Huit ans de travail et de confrontation (souvent dans leurs versions originales) avec des textes grecs, latins, hĂ©breux, arabes, pour aboutir Ă  une synthèse impressionnante et totalement inĂ©dite sur le rĂŞve Ă  travers les âges et les cultures. (Son directeur de thèse a prĂ©cisĂ© qu’il avait dĂ» rĂ©frĂ©ner l’Ă©nergie de son vĂ©nĂ©rable doctorant, qui sans lui aurait Ă©tendu sa recherche vers l’Inde, la Chine, Java et Sumatra).

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Pour ce que j’ai compris, et en schĂ©matisant Ă  l’extrĂŞme, on peut distiguer trois Ă©poques : l’AntiquitĂ©, oĂą le rĂŞve est le moyen privilĂ©giĂ© par lequel Dieu (ou les dieux) parlent aux hommes. Puis, après qu’ArtĂ©midore d’Ephèse (au IIè siècle ap JC) eut replacĂ© la question dans une perspective rationaliste, l’importance accordĂ©e aux rĂŞves faiblit, sauf dans le monde arabe. Ils reviennent au centre de la rĂ©flexion avec Freud et sa thĂ©orie de l’inconscient.

J’ai assistĂ© Ă  la soutenance. C’Ă©tait assez Ă©mouvant de voir six professeurs de philosophie bluffĂ©s par ce travail. Il faut dire qu’il ne se trouve plus beaucoup d’Ă©tudiants qui maĂ®trisent toutes ces langues mortes, ni qui soient capables d’embrasser tant de siècles, de civilisations et de penseurs. Des deux maĂ®tres Ă  qui avait Ă©tĂ© assignĂ©e la fonction de critiquer la thèse, l’un n’a pratiquement rien dit, et l’autre a surtout insistĂ© sur la mĂ©thode : devant le risque de noyade (qu’il avait dĂ» lui-mĂŞme Ă©prouver) reprĂ©sentĂ© par une telle accumulation de connaissances, il convenait, selon lui, de contrebalancer l’Ă©rudition par du rudimentaire, c’est-Ă -dire quelques notions simples, rustiques, repĂ©rables, qui devaient fonctionner comme des amers dans cet ocĂ©an de savoir. Mais Ă©tait-ce vraiment possible, compte-tenu de la nature du sujet ?

L’UniversitĂ© de Metz ne dĂ©cerne plus de mentions depuis 1997. Les mots d’honorable ou de très honorable n’ont donc pas Ă©tĂ© prononcĂ©s. Mais j’ai entendu les mots “je vous fĂ©licite” dans la bouche de chacun des membres du jury.

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Muriel

Les cerveaux brillent par leur érudition et leurs recherches, dans ta famille et belle famille, et leur appétit est pantagruélique !
(Rappelons-nous les recherches de ta maman sur le pharmacien et le mĂ©dicament dans l’Ĺ“uvre de Maupassant…)

Clo

Au delà de son érudition, Jacques (Pacha pour les intimes) nous a bluffés par la puissance de sa pensée.
Le président du jury a souligné l’apport inédit de sa recherche qui situe la connaissance critique du rêve non pas en rupture avec la culture traditionnelle, mais dans une perspective dynamique.
Les discours relatifs aux rêves, les postulats et les méthodes d’interprétation y sont décryptés. Le champs d’observation porte sur une activité humaine fondamentale qui reste encore largement
méconnue des sciences humaines.
La thèse étudie sous un angle anthropologique et philosophique trois époques, caractérisées par trois mutations dans l’analyse du rêve : la fonction divinatoire ancestrale des rêves, la
rationalisation introduite à l’époque antique par les grecs et ultérieurement dans les cultures sémitiques, enfin l’incursion de la psychanalyse et de l’imaginaire dans l’interprétation du rêve.
Les approches traditionnelles, les deux premières épistémès (celle de l’onirologie dominée par les mythes et celle de l’onirocritique régie par le logos) en se conjuguant avec la troisième épistémè
(celle de Freud) constituent le substrat d’une épistémologie de l’imaginaire.
La thèse rĂ©vèle la logique intentionnelle du rĂŞve quelque soit son contexte et par consĂ©quent sa portĂ©e ontologique (au sens sartrien). “Une image poĂ©tique de l’être” se laisse deviner dans le
rĂŞve. La conclusion met en exergue l’émergence Ă  venir d’une quatrième Ă©pistĂ©mè – correspondant aux dĂ©couvertes des neurosciences – qui nous donnera peut-ĂŞtre la clĂ© des songes.

annick charnay

et nous aussi !